jeudi 15 mai 2014

La lame

Une marque, avant toute chose, est une question de choix. Elle doit raconter une histoire inspirante, mais surtout polarisante ; son registre ne peut être à la fois classique et éclaté ; la promesse doit être simple et décodable en une fraction de seconde ; la vision stratégique doit clairement la projeter dans l’avenir, car un «marketer» est aussi un «prévisionniste». Des choix, plusieurs, et une cohérence qui sera impérative au succès à long terme de l’entité. Mais comme tout navire, il faudra garder le cap. Les vagues peuvent devenir des lames.

La marque des Bruins de Boston représente selon moi un bel exemple de lame à double tranchant. Avec comme ADN la robustesse, le courage, l’intrépidité, le concept d’équipe et une histoire qui rappelle d’immenses talents comme celui de Bobby Orr - peut-être le plus grand talent de l’histoire du hockey - mais aussi des vedettes plus timides comme Raymond Bourque ou énigmatiques comme Cam Neely, elle a de toutes les époques flirté avec le revers de ses qualités. Son archétype le plus fidèle, selon moi, est Stan Jonathan: alliant robustesse, bagarres et talent offensif, il avait compilé une fiche de 27 buts, 25 passes et 116 minutes de pénalités lors de la campagne 1977-1978. Le jaune et le noir mettant en scène l’ours de Boston, ce fétiche de la classe ouvrière à forte concentration irlandaise a toujours été cohérent et ancré dans la réalité, malgré ses revers. Identité visuelle, valeurs, philosophie, bref, tout y est. Jusqu’à ce qu’elle dérape récemment. 

Quand la robustesse devient de la violence gratuite, que l’intimidation remplace la résilience et que les menaces prennent la place de l’esprit sportif, la marque en prend pour son rhume. Les Bruins, autrefois synonymes de détermination, sont devenus une triste représentation de couardise et d’arrogance mal placée. Quelques joueurs lobotomisés, un entraîneur très créatif dans l’art de se trouver des excuses et une poignée de fans racistes ont suffit à faire pâlir l’aura de l’organisation et à entacher sa réputation à l’extérieur de son marché primaire, et ce de manière tangible. La marque est devenue une lame à double tranchant, se sabordant elle-même en partie. Mais si vous êtes encore fan des Bruins, ne vous en faites pas trop… cette marque possède des racines très profondes. 

Toutes les marques peuvent trébucher lorsqu’elles prêchent par l’excès. Respectons le concept de l’impermanence des choses, ne prenons rien pour acquis et prônons un coeur de marque stable dans un univers hostile auquel nous devrons constamment nous ajuster. Mais ne retournons jamais la marque contre elle-même, un ours trop blessé pourrait ne jamais s’en remettre lors d'un septième match...

AJOUT : Kevin Paul Dupont du Boston Globe semble aller dans le même sens que moi avec un article assez dévastateur ce matin, c'est ici. C'est sans compter sur le fait que Milan Lucic tente de vendre un livre contre l'intimidation, pas fort. Et Claude Julien qui n'a pas serré la main des joueurs des Canadiens à la fin du match comme le veut la tradition... Ceux-là ne vont pas à la cheville de celui qui n'a peut-être pas gagné sa bataille mais qui en a inspiré des millions: Normand Léveillé. Merci aux amis Jean-Pierre Saraz et Jocelyn Desjardins pour les liens.

mardi 6 mai 2014

La tromperie


Certaines marques ne savent pas identifier ou récupérer l’essence même d’un courant ou d’une idéologie. Ces «faux pas» engendrent généralement des tollés de protestations qui vont à l’encontre des objectifs de communication. Et quand il est question de procréation, d’homosexualité ou encore de féminisme, à tort ou à raison, les pièges sont nombreux et la polarisation très émotive. Parlez-en à Mahée Paiement ou à Joël Legendre…

Dans le cas bien précis du féminisme, plusieurs hommes le confondent avec un rejet systématique du masculin, ou encore avec une hargne représentative d’une minorité qui tend à prôner la castration métaphorique comme modus operandi. Je crois pour ma part que le féminisme est plus que jamais nécessaire en 2014, ici comme ailleurs, même s’il est évident que la condition féminine est rabrouée à des niveaux moyenâgeux dans plusieurs aires culturelles bien éloignées de notre réalité. Ici, le féminisme se joue au coude à coude, au jour le jour, sur une panoplie de sujets: parfois évidents, parfois plus subtiles, mais toujours pertinents. Jamais, au grand jamais, le féminisme n’aura par contre la légitimité de prôner la tromperie, avec comme écran de fumée la liberté individuelle de choisir d’avoir un enfant en instrumentalisant l’autre sexe à son insu. 

Alors inutile de vous dire que la publicité pour la Fête des mères de la marque de mode féminine espagnole Desigual, montrée en introduction, incarne la plus stupide transposition du pouvoir féminin qui soit. Du mot-clic (#tudecides) qui propose un individualisme dénué de conscience à la représentation de la femme (visiblement lobotomisée et pas toute là) qui perce allègrement des condoms comme si c’est un jeu coquin, en passant par l’ambiance musicale décalée du sujet, ce message est probablement l’un des plus médiocres à avoir vu le jour. Il provoquera hélas des affrontements et des conflits inutiles, mais s’il peut servir à une chose, qu’à une seule, ce sera d’avoir clairement démontré la transgression d’une frontière qu’aucune idéologie ou courant n’a le loisir de transgresser: celle du droit à la vérité. Ici, nous n’avons pas affaire à une femme qui s’affirme sainement, mais plutôt à une psychopathe. Or, une marque n’a rien à gagner à emprunter cette stratégie, sauf si bien sûr son objectif secret est d’avorter l’ensemble de son capital de sympathie.

Merci à l’ami Benoît Chamontin pour le tuyau.

lundi 5 mai 2014

150 ans et toujours en mouvement


Des Années folles à la guerre, de la révolution industrielle à la révolution informatique, toutes époques confondues, dans un montage organique mais signifiant, la chaîne de grands magasins britanniques John Lewis a célébré samedi dernier son 150e anniversaire avec une publicité événement, diffusée en grande pompe lors de l’émission Britain’s got talent, profitant ainsi de cotes d'écoutes d'environ 10 millions de téléspectateurs.

Surfant sur une reprise hyper mélodique des Kinks, cette publicité établit un lien quasi ombilical entre l’évolution de la société anglaise et celle de la marque, en prônant la diversité culturelle, des classes, des sexes, des âges et des styles. Les 99 secondes passent en un clin d’oeil, les liens entre les plans n’étant pas chronologiques mais plutôt physiques, intuitifs, et culminant vers la promesse d’un avenir porteur, évoqué en ralenti lors de la salutation de la fillette à la 88e seconde. 

La valorisation de la clientèle par la filiation à la marque, toujours en mouvement, toujours en évolution, vient clore un message dont l’étendue de la portée n’affecte pas l’efficacité, la preuve qu’il est encore possible de produire des messages à la fois performants et populaires sans tomber dans le décalage humoristique dénué de sympathie, comme trop de marques semblent présentement le faire au Québec. Soyons vrais et il en restera quelque chose. Mission accomplie pour John Lewis, qui me touche même si je suis à des milliers de kilomètres de son magasin le plus proche, à des milles de sa réalité.

dimanche 27 avril 2014

La chaîne

Se rasséréner dans la conviction d’être véritablement libre relève de l’illusionnisme de foire cheap. Nous sommes profondément captifs. Tous. De nos pulsions, de nos ambitions, de nos limites, de nos peurs, de notre ignorance. Peu importe la raison, nous passons la majeure partie de notre vie à tourner autour de la vraie question, celle de notre liberté, préférant évoluer dans une cage souvent dorée, parfois ternie, mais dont nous n’approcherons que trop rarement des grilles, conditionnés à voler sans s’y heurter, à restreindre notre amplitude. Demeurer un ersatz de sa propre potentialité, voir sa réalité devenir une version édulcorée de ce qu’elle pourrait être, là est le destin de la majorité des personnes. Le déni anesthésiant l’expérience des années, l’estime de soi préservée par la comparaison à pire, car il y a toujours pire, enfin presque: nous avançons vers notre perte avec la ferveur d’imbéciles apparemment heureux. 

Mais là où je semble déprimant, je conserve aussi l’intime conviction que nous savons, au fond de nous, la teneur de notre captivité. Que rien n’est irréversible. Que la conscience peut parfois transcender la paralysie existentielle. Mais encore faut-il réveiller ce désir et faire le deuil du confort; déconstruire tous les modèles qu’on nous a rentrés dans le crâne à grands coups de culpabilité et de honte pour s’affranchir de sa chaîne. Et surtout ne pas se satisfaire de sa propre dignité comme le Chardonneret de Fabritius, mais choisir l’amputation plutôt que la sujétion; motivés par la profonde certitude que rien ne pourra nous empêcher d’arriver à la fin du périple, mais que nous pouvons y survivre dans la mémoire de ceux que nous aurons marqués, à travers la pérennité de ce que nous aurons accompli, en étant d’authentiques rebelles.

Voilà l’essence de la réflexion qu’a provoqué chez moi la conclusion de la lecture du magnifique Chardonneret de Donna Tartt. Une lecture passionnante, marquante à plusieurs égards, mais ô combien triste pour toute âme lucide.

Photo : Cabinet royal de peintures Mauritshuis
The Goldfinch, Carel Fabritius, 1654. Huile sur panneau.

vendredi 18 avril 2014

L’ovni

En ce vendredi saint, je vous offre un combo de Pâques, soit un billet plus personnel et une publicité qui détonne.

Je ne sais pas pour vous, mais parfois je me sens comme un ovni sur une autoroute aérienne près de l’aéroport O’Hare. Oui, comme un extra-terrestre, pas dans le sens monomaniaque du préfixe «extra», mais plutôt dans la solitude et le questionnement sur ce que je considère comme ma différence.

Quand tout va vite, peut-être trop vite, que les jours défilent comme un TGV et que les semaines semblent s’envoler comme les oies au Cap-Saint-Ignace, quand il n’y a que la créativité et l’efficacité qui priment, que mes actions deviennent systématisées, que je ne suis programmé que pour faire ce que je fais de bien et que je le fais sans trop y réfléchir, oui, je me sens exister, beaucoup, et jouir de cette vie trépidante peut paraître évident, mais rien ne l’est. Car à tout vivre, trop vite, trop fort, j’en viens à me désensibiliser. Or, quand tout s’arrête, comme aujourd’hui, la réalité me rattrape. Ma différence s’exprime dans ces rares moments où tout se fige autour de moi et que je crois ressentir toute la misère du monde en un instant, des cris de douleur de la mère qui vient de perdre sa fille de 3 ans au regard livide d’un enfant soldat au Libéria qui assiste à des assassinats sommaires en passant par la posture psychologique d’un itinérant vivant seul au froid toute la journée à quémander devant le Jean-Coutu sur Fleury. Toute la misère du monde concentrée dans ma poitrine. 

Je me sors de cet état par l’action, en jouant avec mon fils ou en allant à la rencontre d’un vieil ami, bref en me donnant de la perspective. Le Vendredi saint, pour moi, c’est pas mal toujours ça. Rien de religieux, mais un exercice spirituel où je tente de trouver un sens à mon rôle. 



Dans cette publicité de Dodge qui célèbre le centième anniversaire de la marque, j’ai beaucoup aimé voir de près ces centenaires et ces nonagénaires me prodiguer des conseils à la manière de sages dont les rides prennent tout leur sens dans le recul qu’il ont sur la vie. Ils véhiculent leurs préjugés, ils sont imparfaits, candides, touchant, mais ils restent toujours vrais. La marque se positionne ainsi comme une composante de l’identité américaine ancrée sur des valeurs authentiques. Ils sont beaux car ils sont animés par la vie. Comme nous devrions tous l’être: souvent la pédale au fond, mais aussi, parfois, dans le recueillement. 

mardi 15 avril 2014

Notre infinité



Elle s’appelait Chrissy Amphlet. Elle était la chanteuse du groupe australien Divinyls, qui a marqué à sa façon les années 1980 et 1990. Elle est morte le 21 avril 2013 d’un cancer du sein, à l’âge de 53 ans. Avant sa mort, elle a manifesté le souhait que sa chanson la plus populaire, I touch myself, devienne un symbole de l’auto-examen des seins, à des fins de prévention de la maladie. 

Et là, il y a deux jours, est apparue cette vidéo absolument émouvante qui m’a tiré les larmes et m’a fait dresser les poils sur les bras ; cette refonte a cappella interprétée par des chanteuses, par ses amies Connie Mitchell, Deborah Conway, Kate Cerebrano, Katie Noonan, Little Pattie, Megan Washington, Olivia Newton-John, Sarah Blasko, Sarah McLeod et Suze DeMarchi m’a littéralement soufflé. Une idée simple. Un rendu minimaliste. Un mouvement objectif. Et une chanson, vibrante célébration de la sexualité féminine, qui devient un legs en empruntant un tout autre registre, celui de l’intimité face à cette saloperie de monstre. Mais surtout l'incarnation du pouvoir des femmes sur lui.

Chrissy Amphlet n’était rien pour moi avant aujourd’hui. Et là elle est devenue une icône de résilience. Elle a vaincu la mort car elle vit maintenant dans l’esprit de plusieurs à travers cette chanson, à travers cette version, qui évoque par le fait même toute la noblesse que peuvent emprunter certaines campagnes de sensibilisation. Celle-là sauvera des vies et en inspirera plusieurs car elle témoigne un peu, beaucoup, de notre infinité.



dimanche 6 avril 2014

Les héros



Ils s’appellent Messi, Van Persie, Aguero, Wilshere, Luiz, Sergio Ramos. Ce sont les héros de notre époque, des favelas de Rio à Knightsbridge, de Séoul à Yaoundé, toutes classes sociales confondues, toutes cultures unies. Ils seront des centaines de millions à bientôt les acclamer. 

Pepsi est une marque globale qui transcende les frontières culturelles. En guerre contre un géant, qui lui sera commanditaire officiel de la Coupe du Monde, elle déploiera pour l’occasion la plus grande campagne publicitaire de son histoire. Dans ce message, un clip efficace qui reprend le succès intemporel Heroes de Bowie, l’agence 180 LA propose une construction musicale initiée par du bruitisme enlevant, qui sert de canevas organique au dévoilement progressif de nombreux caméos de héros du Foot. Le choix de la sublime Janelle Monae comme interprète me semble judicieux et parfaitement en harmonie avec la mosaïque culturelle inhérente au concept, qui culmine avec un appel puissant à la communion dans l’instant présent. 

Dans la conjoncture mondiale actuelle, où l’instabilité est palpable et les injustices révélées au jour le jour, particulièrement au Brésil, d’associer la marque à la nécessité de vivre le moment, pour soi, mais en symbiose avec les autres; de devenir soi-même un héros, ne serait-ce que pour une journée, m’apparaît être un axe particulièrement porteur. Pepsi s’immisce ainsi dans les imaginaires comme un lubrifiant social, comme un joueur rassembleur, à des milles de l’arrogance corporatiste qui bouffe les peuples pour déjeuner. Dans ce message, tout le monde gagne.

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