dimanche 29 avril 2012

L'imperfection



Les gens se reconnaissent dans les défauts et les tares qu'on leur montre à travers des personnages qui relèvent plus des antihéros que de Monsieur ou Madame parfaite. Les exemples pullulent en télé, au cinéma, en bd, bref, partout, y compris en publicité. Ces personnages névrosés, sombres ou encore totalement déséquilibrés, voire drôles ou maladroits, dévoilent la part d'ombre qui existe en chacun de nous. Ils sont riches, complexes et cent fois plus intéressants que Superman, Ken et Barbie réunis.

Qui n'a pas déjà menti, ne serait-ce que par omission, pour manquer une journée de travail? Vous là-bas? Je ne vous crois pas. Même si personne n'osera vraiment l'avouer, c'est justement sur cette corde que joue la publicité du portail d'emploi Zonajobs.com montrée en introduction, en misant au passage sur le malaise et le décalage liés à la mort d'une personne âgée vulnérable, aux nombreuses morts dis-je, parfois particulièrement violentes et percutantes. Le dénouement final est habile et apporte une réponse claire au scénario tout en positionnant le bénéfice que propose l'annonceur: aimer son travail au point de ne pas vouloir prendre congé en se donnant une raison bidon. Une approche particulièrement pertinente auprès des cibles des générations X et Y, plus sensibles aux avantages du travail en terme de qualité de vie. 

Certains seront probablement choqués par cette approche conceptuelle signée Draftfcb Buenos Aires. Qu'une personne âgée soit traitée ainsi. Qu'on la voit fusillée ou projetée dans les airs à la suite d'une explosion. N'empêche, une réalité demeure au-delà de notre sensibilité à voir la mort: ce sont nos imperfections qui nous rendent uniques et humains. Parfois même nos mensonges. Cette réalité devient donc une superbe opportunité à exploiter en création publicitaire. Et en passant, confidence pour confidence, ne le dites à personne: mon grand-père paternel est mort deux fois!

jeudi 26 avril 2012

Mon regard


7h45 le matin. Il pleuvait des cordes. Je m'étais couché tard la veille, sale insomnie, et je sortais de chez moi pour me rendre à l'agence, quand j'ai croisé sur mon trottoir un jeune homme, environ 20 ans, maigre et légèrement vêtu malgré les 4 degrés et l'humidité transperçante qui rendent cette fin avril si insupportable. Il était chargé comme un mulet. Il se dirigeait lentement vers ma porte, machinalement, sans âme, sans me voir, le regard littéralement vidé de toute flamme. Il semblait provenir du sous-continent indien, sa chevelure j'imagine. De l'autre côté de la rue, chez ma voisine que je surnomme «Bree», car elle m'apparaît aussi obsédée par sa perfection que la fameuse Bree Van de Kamp de la série Desperate Housewives, un autre jeune homme. Pratiquement un clone de celui que je venais de croiser. Il s'occupait de son côté de rue avec la même résignation. Ces deux jeunes livraient des sacs publicitaires, ne me demandez pas quel variante, car ils pullulent, pas les jeunes, les sacs publicitaires. Jamais dans l'histoire récente n'avons-nous été aussi obsédés par l'environnement qu'en ces temps où nous devons jeter au recyclage sur une base quasi quotidienne des sacs publicitaires qui me paraissent aussi inutiles que nuisibles.

Je me suis rendu au métro en ressentant un malaise certain. Ces jeunes étaient probablement exploités. Leur dos devait les faire souffrir et ce, littéralement pour des grenailles. Probablement pour survivre. 

Nous vivons au Canada mais nous laissons des entreprises alimenter une machine en grande partie factice car basée sur l'exposition de ménages aux publicités, circulaires et autres machins de publicités directes. Or, dans mon univers, je ne connais personne, à une ou deux exceptions près, qui ne consacre ne serait-ce qu'une seconde pour consulter ces trucs insérés dans des sacs de plastique sur lesquels une publicité d'agent d'immeuble est imprimée en sérigraphie. On nous fait la morale à l'épicerie, partout, pour que nous cessions l'usage des sacs en plastique, mais jamais en aurons-nous reçu autant, accrochés à notre boîte aux lettres, à notre insu. Parfois deux par jour. 

J'étais triste pour ces jeunes. Le cheap labor existe visiblement encore. Il est parfois à notre porte. Et nous ne le voyons pas plus que les publicités qu'il porte comme un «homme-cheval» de Calcutta. Les seuls qui en profitent sont des entreprises qui savent vendre, à l'aide de statistiques très très poussées et convaincantes, ce qui n'existe que de manière très fragmentaire: notre exposition réelle à la publicité postale. Ces entreprises exploitent un système en spéculant sur mon regard, or, le surlendemain, il faisait soleil et j'ai préféré regardé ailleurs pour conserver ma bonne humeur.

lundi 23 avril 2012

Le RDF

Le «pitch» ou présentation spéculative, c'est ce que la plupart des agences de publicité font pour gagner des comptes publicitaires d'envergure. Peu importe ses règles ou le nombre de participants invités, un«pitch» implique de se lancer dans le vide. Car si nous savons que notre création fonctionne, nous n'avons aucune réelle idée de ce que le prospect en pensera. Et encore moins de ce que les concurrents vont présenter, même si la déduction nous en donne parfois des indices. Alors la lucidité quant aux risques encourus doit guider nos pas. Personne ne mourra d'une «défaite». Mais toute défaite doit impérativement nous aider à progresser comme groupe.

L'expérience et la confiance en mon équipe m'apportent l'intime conviction que nous avons tout fait ce qui était possible pour trouver la bonne solution, le bon concept, honnêtement. Il en résulte aussi la capacité de pratiquer le «lâcher-prise», car nous ne pouvons contrôler tous les paramètres et accepter cette réalité nous rend meilleur. 

Demain, mon agence, mon équipe, moi, nous allons «pitcher». Suis-je stressé? Non. Plutôt gonflé à bloc.    

Pitcher, c'est communiquer notre évidence avec passion, c'est démontrer notre profonde compréhension des enjeux, mais c'est surtout s'élever au-dessus de la mêlée. Ce phénomène s'appelle le Reality Distortion Field (RDF). Cette faculté était l'arme la plus redoutable de Steve Jobs et représente l'atout le plus utile en «pitch». Peu réussissent à la maîtriser, nous sommes nombreux à en rêver, j'y aspire bien humblement à ma manière. Don Draper, lui, la possède. Sur ce, je vous repasse ma scène fétiche de Mad Men, que j'écoute la veille de chaque «pitch».  Et oui, je sais, Don Draper n'existe pas dans la vraie vie...

mardi 17 avril 2012

La quintessence



Alejandro Gonzales Iñárritu fait partie de mes réalisateurs fétiches. À l'automne 2000, quand  je suis allé voir son premier long métrage, Amores perros, au complexe Excentris par un temps pluvieux, quelque chose s'est passé en moi. Au-delà de la maîtrise de la réalisation et de l'impact de la musique de son fidèle collaborateur de l'époque, Guillermo Arriaga, ce film semblait habité d'une âme. J'avais ressenti une émotion similaire à l'hiver 88 quand je m'étais figé comme une grande échalote devant La Danse de Marc Chagall au Musée des beaux-arts de Montréal, étrangement ému pendant une bonne vingtaine de minutes. Même chose avec les premières secondes de ma première écoute de l'Introitus du requiem de Mozart dirigé par Karajan. Ces moments avaient été provoqués par la quintessence. 

Est-ce possible de ressentir ce type d'émotion à l'exposition d'une publicité? Je ne crois pas. Enfin peut-être, mais très très rarement. Car la nature commerciale de la publicité vient pratiquement toujours étouffer l'émotion avant qu'elle n'explose en nous. Certaines publicités sociétales font à l'occasion des incursions dans un registre s'approchant de la perfection artistique, mais encore là, on finit toujours par humer l'axe de communication, l'objectif transparaît, la finale trahissant souvent la pureté de l'approche. Vous comprendrez que je parle ici d'absolu.

C'est un peu ce que fait cette publicité de P&G en vues des JO de Londres, une création de Wieden + Kennedy Portland réalisée justement par Alejandro Gonzales Iñárritu. Tout est là. L'intention est bonne, la progression magnifique et l'interprétation parfaitement juste. Cette ode aux mères, vibrante, contagieuse, transculturelle, ancrée sur des émotions aussi innées que profondes, ne commet aucun faux pas, si ce n'est l'apparition des logos des produits de la marque globale à la toute fin. Cette présence induit immédiatement un lien entre les marques, leur clientèle cible primaire et le thème central. L'intérêt commercial devient soudainement palpable. C'est cette nuance particulière qui différencie l'art de la publicité. Mais vous conviendrez avec moi que la frontière est parfois ténue.


dimanche 15 avril 2012

Les moyens



Quand un concept de film publicitaire nous passe par le tête, et là je parle de mon expérience à moi, tout est clair. Je le vois. De la première séquence à la toute fin, incluant l'ambiance musicale et les visages des comédiens. Le problème, c'est que rarement nous aurons les moyens de le mener à terme en accord avec notre vision. Des compromis seront nécessaires. Questions de budget, impératifs commerciaux du client, peu importe la raison, le résultat final, après avoir passé dans le filtre de la réalité, sera différent de celui imaginé, pas nécessairement plus mauvais, mais assurément moins pur. 

Certaines grandes agences peuvent compter sur tous les moyens nécessaires à épater la galerie. Des boîtes comme Sid Lee avec le compte de Adidas, les américaines CP+B, Wieden+Kennedy, Chiat Day, pour ne nommer que celles-là, peuvent réellement, en certaines occasions, repousser les frontières de la réalisation. Dans le film publicitaire en intro, une création de la californienne 72andSunny, tout est là pour un gros gros wow chez les adeptes de jeux vidéo de combat! Le budget musique (la reprise touchante de Hurt de NIN par Johnny Cash), les effets spéciaux, la progression dramatique, toutes les composantes sont optimisées pour provoquer l'effet désiré, soit susciter des attentes et du désir en vue de la sortie prochaine du jeu vidéo Prototype 2 par Activision. Le secteur des jeux vidéo est l'un des plus lucratif qui soit, dépassant les revenus de l'industrie du cinéma avec plus de 40 milliards de dollars en 2007. Pas étonnant que tous les moyens soient mis en place pour maximiser le retour sur investissement. Sky is the limit.

C'est bien de faire beaucoup avec peu, comme la plupart des agences du Québec le font avec leurs clients, mais de parfois jeter un regard sur des réalisations d'envergure mondiale ne peut qu'enrichir notre vision de ce que peut être la publicité: un magnifique spectacle, parfois même du grand art.

mardi 10 avril 2012

Le superflu



Les fioritures ne sont pas à la mode. Rien ne doit dépasser. Le design contemporain repose essentiellement sur des lignes épurées, minimalistes. C'est la même chose pour le corps humain. On peut bien s'opposer à la maigreur des mannequins, mais dans la réalité, les ventres protubérants, les bassins trop larges, les doubles mentons, les dessous de bras pendouillants, bref, tout ce qui relève de la surcharge pondérale, du surplus de graisse, ne fait pas partie de la normalité montrée à l'écran en pub. Certains, particulièrement nos voisins du sud, semblent apprécier les obus mammaires qui défient la gravité, mais on demeure impitoyable envers tout ce qui est mou et adipeux. 

Prenons la publicité du terreau d'empotage Vigorplant, conçue par  l'agence italienne Armando Testa. Instinctivement, je la trouve drôle, efficace, j'aime la valorisation du produit, le clin d'oeil implicite que nous fait le réalisateur avec ses ralentis, le bien-être évident assumé par le protagoniste, tout comme la musique que je trouve irrésistiblement efficace. Là où le bât blesse, c'est lors de l'énoncé final : «The life of a plant is harder than it seems». On plaint littéralement les plantes de devoir endurer l'image du gars en question. C'est là que je décroche. J'aurais préféré plus de subtilité, possiblement une question qui aurait prêté à interprétation, mais de cette façon, non, j'embarque pas.

La publicité doit vendre, mais aussi divertir, parfois raconter une histoire, déstabiliser, souvent surprendre, mais elle se conforme pratiquement toujours aux canons de beauté véhiculés par les magazines, sauf quand il est question d'instrumentaliser la différence à des fins humoristiques. Ne voyez-vous pas une opportunité pour les grandes marques de justement se distinguer en s'affichant en rupture avec les courants ambiants? Oui, Dove et certaines autres ont tenté des incursions, mais je ne parle pas de ça. Je parle de réellement, concrètement, intégrer la différence aux scénarios publicitaires. Suis-je encore une fois trop idéaliste de rêver à une représentation fidèle de la réalité de l'images des hommes et des femmes en publicité? Probablement. Mais je n'en démords pas, rien n'est plus vrai ni plus beau que l'imperfection, que le superflu. C'est ce qui nous rend unique, humain. C'est aussi ce qui pourrait permettre aux consommateurs de réellement se voir dans une situation. Je ne vois pas pourquoi ça nuirait aux ventes quand c'est supporté à la base par un bon flash, par une bonne idée.

vendredi 6 avril 2012

L'axe romantique



«Est classique ce qui est sain, romantique ce qui est malade.» - Goethe

La femme semble être naturellement la cible évidente pour vibrer aux harmonies d'un scénario romantique. Après tout, quoiqu'on en dise, des dizaines de téléromans vivent sur cette niche, tout comme des séries de livres et de films. TVA présente les jeudis soirs ses «Films de filles». La surabondance de rose, d'illusions juvéniles, les mêmes sempiternelles histoires qui se répètent, bref, des recettes bêtes sont appliquées à la lettre pour favoriser la projection psychologique des femmes tout en positionnant un produit, un acteur, une ville, voire un parfum comme la solution apaisante. Car pour plusieurs femmes, si je me fie à ce que des marques globales leur offre comme message, le prince charmant existe encore, caché, camouflé, enfoui au fond de leur âme de petite fille, arrivant avec son sourire Crest et sa chevelure de Samson sur son cheval blanc. Mais qu'en est-il vraiment? 

Je ne crois plus à cette perception de la femme aux émotions fragiles et aux attentes démesurées. Enfin pas pour la très grande majorité d'entre elles. La femme d'aujourd'hui connait ses besoins, ses forces et ses faiblesses, de même que son réel pouvoir, qu'elle exerce quotidiennement dans sa vie personnelle comme au travail. Elle est constamment exposée aux hommes et possède une idée assez juste de sa valeur et des possibilités qui s'offrent à elle pour rencontrer l'âme soeur. Sa sexualité est assumée et son autonomie bien tangible. Elle n'a pas besoin d'un Ken car elle sait qu'elle n'est pas Barbie et elle ne veut surtout pas être Barbie. À moins bien sûr d'être figée à un stade précoce de son développement psychologique, et là, ça relève de la pathologie.

Dans le petit film musical présenté en introduction, une réalisation de W+K Portland, on décale totalement cette version du romantisme en y intégrant humour et divertissement. Ceux qui me connaissent personnellement savent à quel point je crois en la musique comme vecteur efficace en publicité, et là, elle est à la fois entièrement originale et interprétée par les comédiens pour plus d'authenticité. Le produit est parfaitement montré, les minutes passent comme des secondes et la finale dévoile une prise de contrôle de la dynamique sexuelle par une fille qui vient de courir plusieurs milliers de kilomètres, pas mal! Les femmes, tout comme l'ensemble des segments de la population, méritent qu'on s'adresse à elles en respectant leur intelligence. Le romantisme existera toujours, il n'est d'ailleurs par l'apanage des femmes, mais il doit relever, selon moi, d'une tonalité mature qui transcende les clichés et préjugés. Le romantisme est une épice à utiliser avec discernement, c'est du safran. 

mardi 3 avril 2012

La motivation



La motivation, c'est l'étincelle qui nous anime. Qu'elle soit secrète, définie par l'ambition, l'expérience du passé, par la vengeance ou encore par le besoin intime de prouver aux sceptiques notre valeur, la motivation demeure un moteur puissant, celui qui nous pousse du lit le matin pour aller au gym ou encore à demeurer à l'agence tard le soir pour peaufiner un schéma stratégique. En création publicitaire, le succès réside souvent dans la capacité d'une marque à faire vibrer ou à s'associer aux motivations principales de sa cible. 

C'est exactement sur ce tableau qu'a décidé de jouer le cognac Hennessy, dans une création de l'agence new-yorkaise Droga5. La publicité montrée en introduction, qui met en vedette le meilleur boxeur du monde, le philippin Manny Pacquiao, est nettement la plus réussie d'une série de trois messages, les deux autres montrant la chanteuse Erykah Badu et le réalisateur Martin Scorsese. Sa force réside dans l'association implicite qu'elle établit entre la flamme qui anime le boxeur (également  politicien) et le produit, utilisant au passage comme prétexte la légende des lapins sauvages présents dans la région de Cognac, qui sont prétendument à l'origine du succès de ses habitants. La direction artistique, la symbolique et l'utilisation assez judicieuse de la musique comme amplificateur d'émotion favorisent l'immersion de l'auditoire. 

C'est un autre exemple flagrant de saut créatif où le produit et ses caractéristiques sont totalement évacués au profit de l'établissement d'un lien mieux ancré avec les prospects de la marque. Dans ce cas, on exploite un bénéfice ultime particulièrement névralgique, soit celui de l'atteinte de notre quête existentielle, fût-elle psychologiquement bien intégrée ou résidant encore dans une zone non défrichée de notre inconscient. Et on le fait en posant une question. Quelle-est votre réponse?

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