lundi 1 avril 2013

Entre parenthèses


Je suis assis sur une banquette du Denny's de Daytona, à quelques centaines de mètres de l'autoroute 95. Je commande une assiette de pancakes aux fraises, sans beurre. J'ai 5 ans. Je répète en anglais les mots qu'on me dicte en sourdine. Ouvrez les parenthèses: blanc total. Je suis maintenant sur la rue Hélène à Fabreville, en 1981, dans le grand salon chez mes grands-parents où joue la chanson «Just like starking over», sur un tourne-disque brun. Ouvrez les parenthèses: blanc absolu. Je me retrouve triste à mourir dans ma chambre du sous-sol à l'âge de 13 ans, mes dizaines de dessins disparus car jetés à la poubelles par mon père. Ouvrez les parenthèses: blanc immaculé. Il y a plus de souvenirs que ça. Et je pourrais continuer longtemps. Un fait demeure: le passé est une succession de moments intercalés par des parenthèses. 

On ne peut s'acheter un voyage dans le passé et le temps complète impitoyablement son oeuvre. Il perturbe nos perceptions, il accentue l'idéalisation de moments particuliers, en démonise d'autres, tout ça pour bien définir notre trame narrative existentielle, celle que nous traînons avec notre carcasse jour après jour. Celle sur laquelle notre conscience se maintient, dans un certain équilibre. 

Mais nous sommes tous, à un moment ou à un autre, attirés inexorablement par le passé. Cette faille nous pousse à des gestes de consommation. Les marques le savent. Elles nous vendent des pointeurs vers certains moments, elles nous donnent l'occasion de se prémunir de symboles physiques qui témoignent de ce sentiment de perte relié au passé. 

Plusieurs appellent ça la nostalgie. Moi je crois plutôt que c'est un phénomène qui témoigne d'un décalage immense entre notre volonté innée de vivre et le rythme du temps, implacable, qui ne nous laisse que peu de chances de conscientiser et de donner un vrai sens, en temps réel, à ce qui peaufine notre expérience. 

Que ce soit avec un album des Cure, une bouteille de bière d'épinette, un gâteau au citron, un modèle vintage d'espadrilles Nike ou encore avec une bande-dessinée de Tintin, nous achetons l'espoir de retrouver un moment et une émotion particulière. Tout simplement parce que nous sommes mortels et effrayés du dénouement final, entre plusieurs parenthèses.

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