mardi 24 novembre 2015

Camden, la nouvelle - Chapitres 5 et 6



Chapitre 5
Arnaud
Ça faisait déjà quatre mois que Julian sillonnait le pays en entier. Sa prestation du Nouvel An avait été filmée en 4K et diffusée sur Vimeo, créant une déferlante. Aidé par Bruno au management et à la direction artistique par Eva, il avait initialement conquis des établissements marginaux en mixant son rôle de DJ à ses interprétations vocales live. Mais, rapidement, à l’image de cette époque où l’on s’emballe et se lasse en un clin d’oeil, il avait pris d’assaut des salles de plus en plus importantes, chaque soirée alimentant la rumeur et amplifiant la demande pour celle qui suivrait. En parallèle, il peaufinait un premier EP de quelques reprises et morceaux originaux qu’il planifiait lancer lors de la grande rentrée automnale. Les astres étaient alignés : il était aimé, désiré, de plus en plus reconnu et relativement libre artistiquement. Et surtout, il n’avait plus à penser à l’argent.


Autre fait peu anodin, il était follement amoureux d’une fille, et de son rouge Guerlain, nommée Eva. D’une passion absolument naïve, juvénile, osmotique, qui révélait sa virginité absolue en matière d’émotions amoureuses. Celle d’un enfant endurci par le froid, par l’abandon, un enfant pris dans un corps d’homme, endeuillé dès la naissance du concept même de douceur. Une âme écorchée, qui avait été trop subitement exposée à la tendresse en se faisant enfin flatter les cheveux et dire « je t’aime ». Il était constamment vulnérable à la douleur du manque, de cette lueur découverte dans les pupilles d’une fille. Sa passion l’amputait autant qu’elle l’emplissait. Et lorsqu’il se sentait amputé, Julian devenait fou. Littéralement. Il perdait tout sens concret de la réalité. Paranoïa, fabulations, agressivité. Il se sentait abandonné sur le bord d’un précipice de 10 kilomètres de profondeur, tenu par un pied dans le vide. Et la personne qui le tenait, c’était Eva. Car au-delà de leur relation à distance, aussi sporadique dans le réel qu’un éclair dans le ciel, Eva était fiancée à un prospère financier français et se trimballait entre Paris et le reste du monde. Parfois, elle se pointait à l’improviste et faisait tourner le coeur de son chanteur, dans tous les sens.


Leur relation s’était cristallisée dans les jours qui avaient suivi la nuit du Nouvel An. Ils avaient fait l’amour de manière brouillonne chez lui, ivres, à l’aube, se déballant littéralement comme des cadeaux. Mais jamais leur fusion ne fut aussi totale qu’à leur réveil. Ils étaient l’un pour l’autre une sorte de privilège qu’ils ne croyaient pas mériter. Lui n’avait jamais osé fantasmé, même dans ses rêveries sexuelles le plus secrètes, de se retrouver dans la même intimité qu’Eva, une déesse vouée à d’autres cieux infiniment plus élevés que les siens. Elle, pour sa part, n’avait jamais imaginé tomber en amour avec cet artiste torturé, qu’elle considérait il n’y a pas si longtemps presque que comme son frère. Leur relation était particulière : à la fois dépouillées de mots, mais totalement inondée de gestes. Leur attirance et leur affection mutuelle se mutaient en un étrange cocktail digne d’une scène de Mulholland Drive. Était-ce parce que leur relation était interdite ? Était-ce parce qu’il vouait un fétiche maladif à comment elle appliquait son rouge à lèvres ou mettait ses jambes en valeur lors d’événements culturels ? Il en émanait néanmoins des torrents d’orgasmes et une sincérité totale. Mais lorsqu’elle devait partir, et elle partait plus souvent qu’elle ne restait, ils devaient tous les deux vivre un deuil qui les mettait en pièces, particulièrement lui, qui savait trop bien qu’Eva n’oserait jamais rompre avec Arnaud. Sa peur du vide était ancrée trop profondément en elle.


La veille d’une série de spectacles au Band on The Wall de Manchester, il pensa tout abandonner pour aller rejoindre sa muse à Paris. Il désirait profondément brasser toutes les cartes et espérait qu’une combinaison gagnante émerge du cahot, révélée par l’intensité de ses sentiments. Mais il savait aussi qu’il risquait de tout perdre. La simple pensée d’être définitivement coupé d’Eva suffisait à lui faire renoncer à toute action impulsive. Il continuait donc son chemin, frustré, incapable de la voir, de la toucher, pris à fantasmer à une vie qui lui était impossible. Ce soir-là, sa suite était luxueuse, à des lustres de son loft. Il végétait en regardant une émule d’Adele s’époumoner à Britain’s got talent. L’écran était immense et le lit confortable, avec sa panoplie d’oreillers. Il s’endormit aigri, mais pas tout à fait malheureux.


Le lendemain, il retourna à son tourbillon habituel : rencontre avec l’équipe, répétitions, tests de son, puis souper avec sa bande où seules l’eau et les boissons gazeuses étaient permises. Julian, malgré un passif lourd en termes de psychotropes et d’alcools en tous genres, exigeait une sobriété absolue de tous avant les spectacles, lui au premier chef. Son lien avec le public était sans tache et il voulait le préserver à tout prix. Il donnait tout ce qu’il avait et recevait en retour un amour qu’il n’avait jamais pensé possible. C’est d’ailleurs cette réciprocité avec ses fans qui lui permettait de vivre sans Eva. À la suite de ce spectacle, où il avait exceptionnellement repris à sa sauce la merveilleuse Still Ill des Smiths, l’équipe se retrouva dans un pub et engloutit une quantité impressionnante de bière, en se remémorant les moments forts de la soirée et en émettant des commentaires et échanges dans le but d’améliorer le spectacle. Quelques groupies les avaient suivis et attendaient le bon moment pour les draguer. Julian était épuisé, mais satisfait de son groupe. Il sentait une véritable complicité. Le désir de se perfectionner était partagé de tous et aucun égo ne minait l’ambiance de collégialité. Il appréciait être au centre de tout ça. Vers minuit, il reçut un texto du numéro de portable d’Eva : « Appelle-moi quand tu peux, je dois te parler, c’est assez urgent ». Il quitta sur-le-champ pour retourner à son hôtel, anxieux, sans lui répondre.


Arrivé à sa chambre, il enleva ses chaussures et s’étendit sur son lit king aux draps propres. Il prit ensuite une grande respiration et composa les numéros du portable d’Eva. Décalage horaire oblige, il était près de 2h dans la nuit pour elle. Pourquoi ne dormait-elle pas ? Pourquoi cette urgence ? Après deux coups de sonnerie, elle répondit. Ça faisait presque deux semaines qu’il n’avait pas entendu le son de sa voix.


Eva, essoufflée : « Salut. Merci de m’rappeler. J’me demandais si t’avais lu mon texto… »


Julian : « Allo beauté. Qu’est-ce qui se passe ? T’es toujours à Paris ? T’as l’air essoufflée, ça va ? »


Eva : « Oui, je suis à la maison. Écoute Julian, je sais pas comment te dire ça. Je suis essoufflée parce que je suis nerveuse… »


Julian : « Parle-moi, mon coeur va arrêter de battre. »


Eva : « Arnaud a noté le mot de passe de mon téléphone et a lu tous nos textos. Il avait des doutes. Il sait tout. J’ai tout avoué. »


Julian : « Et puis maintenant ? Qu’est-ce que tu vas faire ? »


Eva : « Il a quitté pour Genève pour quelques jours, c’était prévu. Il m’a donné un ultimatum. J’arrête tout d’ici son retour ou il me met dehors. Notre union est claire, j’ai aucun recours, soit je reste et j’te laisse, soit j’perds tout. Et il exige d’avoir accès en tout temps à mes comptes courriel et à mon portable. J’sais plus quoi faire. J’en tremble. »


Julian : « Prends l’avion demain matin et viens me rejoindre à Manchester. J’fais assez pour que nous soyons corrects. Avec toi je vais être encore meilleur. Tu pourras te consacrer à mon lancement pour cet automne. Viens ! »


Eva : « J’peux pas Julian. C’est pas si simple. Je lui dois tout. Arnaud m’a mise au monde, littéralement. Tous mes contacts, mon réseau, c’est lui. Ta carrière, c’est un peu lui. J’peux pas. Je t’aime, mais je ne peux pas le laisser. C’est pas juste l’argent. Je suis attachée à lui. Pas comme à toi. Rien ne se compare à nous. Mais je crois que nous devons rompre. J’veux rompre. Voilà. C’est dit. Julian, nous deux, c’est fini. »


SILENCE


Julian : « Tu peux pas. Fais pas ça… »


Eva, en sanglots : « J’ai parlé à Bruno, je lui ai dit qu’il devait tout prendre sous son aile, incluant la direction artistique. Il sait pas pour nous. Tu vas être entre bonnes mains. T’as un talent formidable. Le monde est à tes pieds. Tu m’remplaceras par une plus belle et une plus intelligente plus vite que tu ne pourras t’en apercevoir. Je t’aime Julian. J’vais toujours t’aimer. Je dois raccrocher. »


Alors que tout était en place pour une crise existentielle majeure, Julian accepta anormalement bien la nouvelle de leur rupture. Enfin pas sur le coup, mais ensuite oui. Les sentiments d’abandon et d’impuissance se transformèrent rapidement en une exaltation étrange, et la mélancolie des instants furtifs passés avec Eva se muta en une furieuse quête de succès. Voulait-il inconsciemment lui faire regretter son choix ? Dans les minutes qui suivirent l’appel, quelque chose se passa en lui. Son personnage, celui qui a marqué l’histoire de la musique, émergea naturellement, comme pour compenser sa perte. Celui qui vit son nom apparaître dans les dictionnaires avant celui d’Arnaud Chavagnac, le mari d’Eva, était un être vif, incroyablement perfectionniste et d’une créativité sans bornes. C’est à ce même moment qu’il vécut son deuxième épisode métaphysique et qu’il survola sa suite et s’observant de tous les angles. Après avoir découvert au préalable pourquoi il n’avait jamais aimé personne, sa deuxième épiphanie serait encore plus marquante : il savait maintenant comment aimer. Julian sentait que toutes les portes étaient ouvertes, à condition qu’il donne le meilleur de soi en tout temps. Et qu’en donnant tout, il oublierait que sa muse avait choisi le confort. Fait à noter, il n’avait bu que quelques bières ce soir-là.


Les trois autres spectacles au Band on The Wall furent anthologiques. Bien au-delà des flatteries sur les réseaux sociaux et du buzz sous-terrain, les magazines spécialisés et les médias de masse s’emparèrent rapidement du phénomène, qu’ils contribuaient à alimenter. Dans les semaines qui suivirent, la planète musique fut tapissée par l’image de Julian. De NME à Pitchfork, en passant par le Rolling Stones et la rubrique musicale du Guardian : tous les ingrédients étaient en place pour susciter des attentes énormes, mais également une demande commerciale importante à l’approche du lancement de son premier album. Entre le temps passé en studio, sur scène, en déplacement et en entrevues, il n’avait même pas le loisir de se morfondre de l’absence d’Eva. Certes, elle l’habitait toujours et il se prenait constamment à rêver qu’elle revienne sur sa décision, complètement en déroute et en manque de lui, mais sa tristesse était relative et ne l’empêchait pas de continuer sa route. Il lui manquait cependant encore une chose pour surpasser le statut de saveur du mois : quelque chose comme le riff de Satisfaction des Stones ou encore la mélodie de One de U2. Il y pensait le jour et en rêvait la nuit. La presque totalité de ses discussions avec son clan portait sur le sujet. Son EP était devenu au fil des semaines un album complet. Il lui fallait encore trouver son chaînon manquant. Le truc qui allait chambarder autant sa vie que celle de tous ceux qui l’écouteraient en boucle. L’étincelle qui allumerait tous les briquets dans les stades. Qui pousserait peut-être Eva à le rappeler, qui sait ?

C’était un mercredi soir de juin, pluvieux, mais assez chaud. Il était à Bruxelles pour deux jours et profitait d’une rare soirée libre. Il avait soupé avec Bruno, qui se sentait revivre comme dans les premiers temps de la carrière de Lou. Il végétait dans sa suite depuis une trentaine de minutes, quand la sonnerie du téléphone de sa chambre d’hôtel retentit. Il prit le combiné, anormalement gros : « Monsieur Lennon (c’était son nom de code dans les hôtels), un homme qui dit vous connaître, un certain Arnaud C, demande à vous voir. Il est à la réception. Est-ce que je peux lui donner votre numéro de chambre ? Préférez-vous descendre ?






Chapitre 6
Mick

Après un instant ou deux à relier les points dans sa tête, Julian, surpris, réfléchit rapidement et, même s’il se sentait peu méfiant, répondit à la préposée de l’accueil qu’il descendrait d’ici dix minutes. D’en aviser Monsieur C, qui pourrait l’attendre au bar de l’hôtel. Après avoir reçu la confirmation de son interlocutrice, qui avait validé que le visiteur l’attendrait tel que convenu, il remit ses pantalons et ses chaussures, en oubliant ses bas qui avaient glissé sous le lit. Il était plus curieux que soucieux. Au fond, il n’avait rien à se reprocher : il n’avait pas tenté de revoir Eva ou même de lui parler depuis leur rupture. Il avait respecté ses souhaits en tous points. Rien ne justifiait qu’il se fasse passer à tabac par un mari jaloux. D’ailleurs, c’était de notoriété publique que Chavagnac n’était pas blanc comme neige : quelques années auparavant, son nom avait été mentionné à plusieurs reprises dans les médias nationaux français lors des audiences qui avaient suivi un grand scandale financier ; il avait également déjà été marié à une starlette de télé-réalité française et avait fait les belles heures de nombreuses boîtes de nuits parisiennes, avant de se caser assez subitement avec Eva. Dans l’ascenseur vers le rez-de-chaussée, en semi-apesanteur, Julian se dit même qu’il était en position de puissance. C’était Chavagnac le cocu. En regardant sa réflexion dans les portes chromées, il prit une grande respiration et redressa ses épaules.
Arnaud était assis au bar, seul. Il portait un complet gris classique, une chemise blanche carrelée d’un bleu acier assez pâle et une cravate ultra-marine à petits pois azur. Il arborait une épinglette de l’entreprise familiale. Ses sourcils foncés et très épais révélaient des yeux bruns plutôt petits. Pas un cheveu gris n’émanait de cette tête brune fournie et peignée au naturel comme seuls le font les fils des grandes familles. Rien ne trahissait ses cinquante-trois ans. Surtout pas son sourire de jeune premier, lorsqu’il commanda un whisky japonais à cette barmaid blasée. Sans glaçon, car le contraire aurait révélé une faiblesse de caractère.

Julian arriva rapidement. Ils se reconnurent immédiatement. Arnaud sourit à nouveau, pour désamorcer toute tension. Julian fit de même, plus discrètement, en s’assoyant à ses côtés. La barmaid demanda à Julian ce qu’il voulait boire et lui rapporta rapidement un verre de Leffe.

Arnaud : « Merci d’être descendu si rapidement. En fait, merci d’avoir accepté de me rencontrer. Et surtout, ne vous en faites pas, je ne suis pas ici pour vous provoquer en duel… »

Julian : « De rien. Mais comment avez-vous su que j’étais ici ? »

Arnaud : « J’étais en réunion à la BCE toute la journée. En revenant vers mon appartement, j’ai remarqué des affiches placardées un peu partout qui annonçaient votre spectacle aux Halles de Schaerbeek demain, je crois. J’ai demandé à des collègues où logeaient les artistes. J’ai tenté ma chance à un autre hôtel puis à celui-ci. J’aurais abandonné si je ne vous avais pas retrouvé ici… »

Julian : « Ah bon, j’comprends. J’savais pas que la promo était si intense. Je sais pas trop comment vous demander ça… Comment va Eva ? »

Arnaud : « Sans façon. Elle semble aller. Enfin, c’est jamais évident de lire ses états d’âme. Elle est à Osaka pour deux ou trois semaines. Elle organise des événements pour une semaine de la mode là-bas. Mais bon, vous vous demandez sûrement ce que je veux. J’attendais la bonne occasion de vous rencontrer depuis quelque temps… »

Julian : « La bonne occasion pour quoi au juste? Et est-ce qu’on peut se tutoyer ? »

Arnaud : « Bien sûr. Écoute Julian, j’aime Eva. Je ne suis pas le salaud contrôlant qu’elle a dû te décrire. J’ai souvent accepté ses petites aventures, tant que ça restait sur l’air du temps. J’ai moi-même eu mes épisodes. Eva est splendide, j’ai toujours su qu’elle ne serait jamais qu’à moi. Ni à personne d’ailleurs, car si j’ai une certitude en ce qui la concerne, c’est qu’elle n’appartiendra jamais à personne. Mais avec toi, je la sentais différente. Je voyais que ça durerait. Elle me glissait lentement entre les doigts. Il fallait qu’elle fasse un choix… »

Julian, levant son verre : « Santé à toi! T’es clairement le grand gagnant. »

Arnaud : « Si tu savais comme elle était mal en point quand je l’ai rencontrée. Elle sniffait comme un aspirateur. Elle devait de l’argent à tout le monde, dont un mec louche, un certain Jimmy. Elle faisait la fête avec d’autres mannequins six jours sur sept. Elle était si maigre. Je sentais sa détresse. Je sentais qu’elle valait plus. Elle était vive, cultivée, mais tellement perdue. Comme si son esprit était en opposition totale avec son mode de vie. Je voyais dans ses yeux qu’elle voulait se sortir de tout ça. Alors je l’ai sortie de là, je l’ai référée à des amies galeristes et elle a débuté à organiser des expositions. J’ai toujours voulu son bien… »

Julian : « Elle ne m’a jamais dit qu’elle avait été mannequin après l’université. J’imagine qu’elle avait honte de cette période… »

Arnaud : « Sûrement. Donc avec toi, c’était différent. J’ai dû lui imposer un choix. Je ne pouvais pas accepter la situation. Elle changeait. Je la sentais plus distante avec moi, plus froide, comme si notre différence d’âge lui avait soudainement sauté au visage. Et toi tu es de son âge. Tu la connais. Elle a toujours été attirée par les vrais artistes. Moi je suis pas capable d’écrire une rime. Et là ta carrière qui explose… Mais, ce qui m’a incité à te rencontrer, c’est quand j’ai eu ouï-dire que la présidente d’une de mes entreprises se vantait d’avoir récemment couché avec toi. Une certaine Debby... Ça te dit quelque chose ? »

Julian : « Oui. J’ai eu mes mauvais moments moi aussi récemment… »

Arnaud, buvant une grande gorgée de whisky et devenant de plus en plus loquace : « Je pouvais pas comprendre. D’un côté Eva, ma Eva. La déesse. Et là, je sais pas si c’était en même temps, mais cette femme, disons, et là je vais être poli, ne m’en veux pas, mais bon, cette femme pour le moins en déficit de fraîcheur. Je comprends pas. C’est comme si tu étais partout. Je me suis dit « il faut que je lui parle ». Fallait que je comprenne le phénomène. Tu sais, je suis pas du genre à personnaliser des conflits. Si Eva était éprise de toi, c’est qu’il y a quelque chose de fascinant en toi. Je suis curieux. Et même si j’ai tous les airs d’un banquier froid, j’aime aider et m’entourer de mes contraires. Ça me rassure. Et sache qu’Eva ne sait rien de notre rencontre. J’aimerais que ça demeure entre nous. »

Julian : « D’accord. Ça, pour être ton contraire… J’ai jamais mis une cravate de ma vie. Aucune idée comment faire un noeud. Et moi, les chiffres, au mieux je sais additionner. »

Arnaud : « J’ai quelque chose à te proposer. Je sais que tu travailles sur ton album. Eva m’a mentionné il y a quelques mois, avant que je sache pour vous deux, qu’il te manquait quelque chose, comme un vrai réalisateur, que tu voulais trop tout faire et que ça te coulerait... Et là, il y a une dizaine de jours, alors que j’étais sur la Croisette à la soirée des frères Weinstein, je tombe face à face avec Mick Jones. Je sais que ça ne paraît pas comme ça, mais j’ai déjà été un peu jeune et fou. The Clash, Rock the Casbah, Should I Stay or Should I Go… C’était mes tubes favoris. Alors j’ai jasé quelques minutes avec Ze Mick. Et j’ai pensé à toi. Et je lui ai parlé de toi. Je suis comme ça moi. (Et là il part à rire assez fort). Enfin, il était intéressé. Il s’est fait construire un studio à Antibes… »

Julian : « Mais l’album est pratiquement terminé. Je travaille avec mes gars là-dessus depuis trois mois. J’comprends pas trop l’idée. Jones est génial, surtout son travail avec les Libertines. J’ai moins aimé ce qu’il a fait avec Gorillaz. J’ai le plus grand respect pour lui. Mais on peut pas tout refaire… »

Arnaud, le regard perçant : « J’aime Eva. Je m’en veux de lui avoir imposé ce choix. Écoute : j’appelle Mick. Je finance six semaines complètes en studio. Toi, tes musiciens, Mick, son ingénieur de son… Je veux que tu partes pour Antibes et que tu produises le putain d’album de ta vie. C’est ma manière de me racheter aux yeux d’Eva. Elle ne le saura que si tu veux le lui dire. Oui. Toi. En personne. »

Le surlendemain, en début d’après-midi, Julian et sa bande, Bruno en tête, pénétrèrent à bord d’un avion de Brussel Airlines. Une heure et un peu plus de cinquante minutes plus tard, ils atterrirent à Nice où un chauffeur les attendait. Et puis en trente minutes, il arrivèrent à une magnifique villa surplombant une plage de sable à Juan-les-Pins, propriété d’Arnaud Chavagnac. Le studio de Mick Jones était situé tout près. Tous les engagements de Julian avaient été annulés pour qu’il se concentre uniquement sur l’enregistrement de son album, ou enfin son réenregistrement. Mick les attendait sur la grande terrasse, un verre de Rosé des sables à la main. La rencontre d’une vie.

Les deux derniers chapitres seront publiés le premier décembre.

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