mardi 23 août 2011

Dans la lune

L'idée à la base de l'opération semble louable: créer des dessous polyvalents, confortables, pour les enfants et adolescentes. Rien pour écrire à sa mère. Les fillettes, selon Sophie Morin, la présidente de la marque Jours après lunes, mériteraient autant que quiconque d'être confortables et de sortir du carcan 100% coton dont seraient affublés les enfants avec les sous-vêtements actuellement disponibles. Bon, de là à adapter la finition sensuelle de la lingerie féminine (renommée loungerie), il n'y a qu'un pas qui, selon moi est franchi, mais restons ouverts. Il faut aussi préciser que nous sommes particulièrement pointilleux en Amérique sur l'utilisation des enfants en publicité. Peut-être trop, je ne saurais pas dire, mais assurément parce que nous sommes lucides, voire même paranos, en ce qui a trait à la réalité concrète de la pédophilie. Enfants et sexe ne font donc pas bon ménage, à raison, mais c'est plus complexe que ça. Ça relève en bout de ligne de la notion de conscience des enfants par rapport à la sexualité, à ce que nous percevons comme du conditionnement de la perception de la féminité qu'opère certaines marques sur des enfants ou des adolescentes, qui ne sont pas toujours en mesure de saisir la nature et les conséquences de l'image qu'elle projettent, sans compter l'induction d'une certaine forme insidieuse de culpabilité qui est naturellement véhiculée par les «leaders» dans les groupe de jeunes. Autrement dit, si la plus «populaire» de la classe ou d'un groupe décrète que tel ou tel look est la référence, la pression sur les «influencées» sera assez forte pour les convertir à court ou moyen terme. La vraie question pourrait être formulée comme suit: qui des marques qui évoluent pour croître et vendre plus, ou des parents, sont le mieux placés pour orienter graduellement leurs enfants dans le monde superficiellement sexualisé dans lequel nous évoluons? La réponse semble évidente, mais ne l'est pas tant que ça. Car si tous les parents outrés prenaient leur rôle au sérieux et jouaient à fond la carte de la communication, peut-être que moins de jeunes filles seraient à ce point influençables, autant par les marques que par leurs amies. Laisser l'économie de marché éduquer nos enfants, c'est pas fort.

Revenons donc à Jours après lunes. La polémique lancée en France et alimentée la semaine dernière aux États-Unis est basée sur la nature des photos diffusées sur le site web de l'entreprise. Et bien humblement, je n'y vois pas réellement de drame. Un inconfort? Assurément. Parce que l'on applique les prémisses d'un univers adulte à des fillettes et adolescentes, parce qu'elles «posent» et que ces poses se situent, à défaut d'être suggestives, à des années-lumière de la réalité des enfants ou adolescentes de cet âge. Parce que l'on perçoit la stratégie marketing à travers les accessoires. Parce qu'on a voulu mousser un univers «bédéesque» sans se donner la peine ni les moyens de pousser l'exercice à un niveau intéressant. N'en restent que des clichés esthétiques mais excessivement stéréotypés qui ne communiquent ni l'essence de la marque, ni la vision de sa fondatrice. Au fond, qui vise-t-on vraiment avec ces petites dentelles de finition, si ce n'est certaines mères qui vivent à travers leurs enfants?

Morale de cette histoire: tout revient souvent à l'exécution. Vous pouvez avoir la meilleure idée du monde, si ce que vous montrez n'est qu'une version délavée, mal réalisée ou désalignée de votre vision stratégique, vous serez ma perçu. C'est pas moi qui le dit: «perception is reality.» Dans le cas de cette marque, qui n'est apparemment pas distribuée au Québec, c'est bien mal parti. Un peu de sensibilité et des connaissances sociologiques basiques, quand on communique indirectement à des enfants, est-ce réellement demander la lune?

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