vendredi 5 octobre 2012

De l’occupation-doublalisation de l’allaitement.



Préambule
Je suis complètement sidéré par la stupidité de la nouvelle campagne portant sur l'allaitement, lancée hier par l'Agence de la santé et des services sociaux. Cette campagne, qui vise les jeunes mères, ne servira en fin de compte qu'à mousser la notoriété d'une starlette qui désire donner un sens à sa superficialité. C'est aussi et surtout une utilisation irrespectueuse des fonds publics pour la portion média de l'opération. Mais malgré tout ce que j'en pense, je ne me sentais pas à l'aise de la commenter plus en détails. J'ai également ressenti un fort malaise à entendre certains hommes banaliser le tout à la radio et sur le Web. J'ai donc décidé, et c'est une première sur FacteurPub, de laisser la parole à une personne qui se sentait interpelée. Elle est une amie, une mère de deux enfants, bref, une femme qui a réellement vécu l'expérience de l'allaitement. Elle s'appelle Sylvie Gagnon et j'endosse chacune de ses syllabes dans cette montée de lait essentielle.  

- Mathieu Bédard


Ainsi donc, ‘Allaiter c’est glamour’. Eh ben. Par où commencer… me calmer, d’abord.  Voyez-vous, ce genre de marchandisation cheap et cavalière d’un acte aussi profondément humain vient me chercher, au plus profond de ma fibre maternelle. Du pur oxymoron, par un groupe l’étant tout autant, l’oxy en moins.

Prétendre que l’allaitement est glamour pourrait difficilement être plus à des années-lumière de la réalité. Il ne l’est pas mais surtout, ne DEVRAIT pas l’être. Comment l’Agence de la santé et des services sociaux peut être aussi déconnectée me sidère, et me révolte. On ne parle pas ici d’une campagne de pub qui polit les arêtes, rentre les bourrelets et blanchit les dents. On est dans la méconnaissance la plus totale, crasse et insidieuse du sujet.

Avoir des enfants, et tout ce qui gravite autour, n’est pas glamour.  C’est humain. Point. L’allaitement est un don de soi, au propre comme au figuré, n’ayant aucunement besoin d’un public pour trouver sa raison d’être. On n’est pas dans le paraître ici. On parle de maintenir la vie en vie. Excusez du peu.

Si vous avez un minimum de guts, Agence de la santé et des services sociaux, sortez donc de vos bureaux et allez visiter la nouvelle maman vers 3h du matin. C’est souvent l’heure où elle  sanglote dans le noir, parce que bébé ne prend pas bien le sein. Quand elle vous fera part de son angoisse qu’il ne se nourrisse pas suffisamment, cheerleadez–la en lui parlant de la glamourité de la situation. Voilà qui devrait l’apaiser, c’est certain.  Allez aussi donner cet implacable argument au nouveau papa désemparé, qui ne sait plus comment rassurer sa blonde qui se tape des mastites et engorgements à répétition.  Répétez au besoin.

Allaiter, c’est faire en sorte que l’être humain que t’aimes le plus au monde dépende de toi pour sa survie. C’est donc un choix on ne peut plus personnel. On n’allaite pas parce notre sœur, notre meilleure amie, Julie Snyder ou Mahée Paiement le fait, mais parce qu’on se sent bien là-dedans. La pression sociale ne donne rien, la culpabilisation ne donne rien, la pseudo-glamourisation encore moins.

Fort intéressant également de voir à quel point les futures mères sont considérées au passage comme de véritables cruches, spontanément aptes à gober toute nouvelle formule marketing, pour peu qu’elle soit enrobée de paillettes. Vraiment, Agence de la santé et des services sociaux, vous sous-estimez la population à ce point? Il ne vous a jamais traversé l’esprit que l’argent investi dans l’achat média de cette campagne aurait pu servir à autre chose? Je ne sais pas, fabulons un peu, étendre les heures des cliniques d’allaitement? Dispenser de la formation aux jeunes infirmières en poste à la maternité des hôpitaux, qui sont souvent bien démunies quand vient de temps de donner des conseils à la nouvelle maman? Dommage que ce genre de mesure n’ait pas un taux de glamour très élevé, pas plus qu’un potentiel de viralité sur les médias sociaux.

Au lieu de tenter de nous vendre vos concepts et autres inepties, et de nous dicter quoi faire avec nos glandes mammaires, serait grand temps que vous commenciez à nous supporter dans nos décisions. C’est comme ça que nous serons en meilleure santé physique et mentale, avec l’épanouissement qui en découle.

Parce qu’au final, la dépression, même avec une couche de glamour, c’est pas ben ben vendeur.

Sylvie Gagnon


Ajout (par Mathieu Bédard)
Il s'avère que la campagne en question ne semble pas comprendre d'investissement en média ou en production de la part de l'ASSS et que cette initiative demeure un projet bénévole effectué de bonne foi, autant par Mahée Paiement, sa famille, que par les autres intervenants. Toute attaque sur la pertinence des investissements de l'ASSS devient donc futile. Il est important de le mentionner, même si je persiste à croire qu'une campagne bénévole mieux adaptée aurait pu mobiliser les femmes en tant qu'ambassadrices plutôt que de susciter une controverse relativement stérile.

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