lundi 25 février 2013

Être con.


Le pitch, ou présentation spéculative, demeure un exercice incontournable en publicité. Il consiste pour un annonceur de demander, par un appel d'offre public ou sur invitation arbitraire, à quelques agences de publicité (généralement trois, parfois plus), de lui soumettre un projet de campagne de publicité qui rejoint les objectifs inclus dans un «brief»(ou «bref» pour faire plaisir à l'OQLF). Parfois, aucun concept n'est exigé et on se concentre plutôt sur la vision stratégique et créative (ce qui demande pratiquement le même lot d'énergie); parfois on demande la totale, mais un fait demeure: rarement on rémunère les agences pour se produire en spectacle. La réalité, c'est que ce sont les agences qui décident ou non de jouer le jeu selon leur lecture de la situation. Le concept de présentation spéculative n'existe pas qu'en publicité: il perdure en ingénierie, en architecture, en organisation d'événement, de même que dans plusieurs secteurs de prestation de services. Personne n'est obligé d'y prendre part. C'est donc, en bout de ligne, un exercice qui relève de la loi naturelle de l'offre et de la demande. Or, en publicité au Québec, il y a plus d'agences au mètre carré que de nids-de-poule sur l'avenue Sauvé entre Christophe-Colomb et St-Hubert. Et les mandats intéressants se font rares. Alors devinez qui a le gros bout du bâton? Donc, pour revenir à nos moutons, plusieurs agences tentent le coup et investissent des sommes considérables pour développer une solution et seule l'agence sélectionnée par le client, selon une grille d'évaluation qui va varier selon le cas, obtiendra le mandat et les dollars qui y sont rattachés. C'est cruel mais c'est comme ça. Les perdants se retrouvent le cul à l'eau. Je le répète, personne n'est «obligé» d'embarquer dans ce jeu.

Alors que faire si un client actuel, qui décide de lancer un «pitch» pour faire plaisir à ses patrons, vous invite chaudement à tenter votre chance? Que faire si, parmi les autres agences invitées, se retrouve une boîte vingt fois plus grande que la vôtre? C'est clair. Vous vous retirez car vous savez très bien qu'on ne va pas à la guerre contre une armée avec un vulgaire lance-pierre. Mais si ledit client, avec qui vous avez développé une relation d'affaire humaine, vous dit qu'il serait réellement déçu que vous ne participiez pas à l'exercice? Alors vous lui mentionnez vos réserves et votre perception lucide de la situation, sachant que de jouer les figurants naïfs pour le plaisir de monsieur n'est pas votre tasse de thé. Mais s'il insiste? C'est ça, vous débutez à y croire. Mais ce sentiment est trompeur. Vos chances sont nulles. Alors le client vous dit qu'aucune création ne sera exigée, que la grande agence ne sera pas favorisée. Voilà, vous êtes emballé, vous croyez honnêtement en vos chances! Mais si vous y croyez vraiment, c'est que vous êtes aussi un peu con. Les entrepreneurs sont tous un peu cons. Nous croyons, à tort, pouvoir nous distinguer contre Golliath, mais nous n'avons souvent même pas les moyens de David. Alors, stimulés par une pensée magique qui relève du vaudou, on demande implicitement à son équipe de s'investir sur le cas.Des dizaines d'heures en temps supplémentaires s'ajoutent au stress des mandats courants: de la rédaction, des planches d'ambiance, des maquettes, des idées, une vision, un échéancier, le respect d'un budget, des relectures, des révisions, bref, vous croyez que votre agence a relevé le défi, votre présentation se déroule bien, vous sentez que votre discours porte, vous revenez à l'agence confiant. Mais un fait demeure: vous êtes con. Un con de première. Un champion du monde.

La différence entre une grande agence et une petite agence ne réside pas uniquement dans la capacité de générer un immense «show de boucane» au client. Cette différence, c'est aussi l'aptitude de déléguer le mandat à une équipe dédiée aux «pitchs» (oui, ils ne font que ça et ils sont très bons). La différence entre une grande et une petite agence, c'est également des «démarches», des «recettes» éprouvées, des dizaines de prix gagnés, bref, une capacité tangible à «distortionner» la réalité. Que des stagiaires sans expérience soient par la suite exploités pour réaliser un mandat marginal pour cette dernière n'importe guère, le client n'y verra que du feu! Quand on vend des services en branding, on sait très bien la valeur d'une marque, aussi artificielle soit-elle. Cette réalité s'applique aussi à nous, agences de publicité. La différence entre une grande agence et une petite, c'est parfois le talent et l'excellence, oui, mais c'est aussi la valeur perçue d'un nom dans un contexte de politique interne. 

Donc, quelle est la morale de l'histoire? Ne jamais croire un client ou un prospect qui vous promet que vos chances sont aussi bonnes qu'une agence vingt fois plus grande que la vôtre, même s'il semble y croire lui-même vraiment (ce n'est pas lui qui assumera vos dépenses, alors ses considérations ne doivent pas vous influencer). Aussi, ne jamais, au grand jamais, laisser votre propre cupidité ou votre narcissisme prendre le dessus sur la réalité froide des affaires. De cette façon, vous laisserez les autres gaspiller leurs énergies et vous maximiserez les vôtres en participant à des exercices où les probabilités seront favorables, tout en respectant du même coup la qualité de vie des membres de votre équipe. Car un fait demeure, ce ne sont normalement pas les dirigeants d'agence qui se tapent toutes les heures supplémentaires nécessaires pour arriver à de bonnes présentations. Et les annonceurs dans tout ça? Et bien ils demeureront ce qu'ils sont. À nous plutôt, publicitaires en petites agences, de nous respecter un tant soit peu nous-mêmes si nous désirons un jour être respectés en retour. À nous d'être un peu moins cons.

lundi 18 février 2013

Un rythme irrésistible



En création publicitaire, un message qui semble long est souvent un mauvais message. Généralement, plus ça percute, plus ça passe vite, plus c'est divertissant, mieux c'est. Qui plus est, si la durée perçue est courte, on minimise la possibilité de zapping. Le rythme, en création publicitaire, est forgé par différentes composantes, dont le débit du montage, la musique ou l'ambiance sonore, la narration, le dynamisme des plans ou l'originalité globale de l'approche de réalisation. Un fait demeure, cette pondération des différentes composantes doit se faire en fonction de communiquer efficacement le message principal et non le contraire. La grande idée conceptuelle et, bien sûr, notre façon de la transposer, doivent impérativement servir les objectifs d'une campagne. Le contraire relèverait du «trip» de créatif, or, ces «trips» gagnent certes des prix à Cannes mais ne rejoignent que très rarement les attentes des annonceurs en matière de vente ou de sensibilisation... 

Apple a toujours su conserver un rythme taillé sur mesure pour ses prospects et clients sans toutefois trahir l'ADN de la marque ni la communication efficace des attributs de ses produits. Ce rythme fait partie intégrante de sa manière bien à elle de communiquer. Ses publicités ne surprennent pas vraiment, ne font pas rire ni pleurer (à quelques exceptions près), mais elles demeurent efficaces, pertinentes, divertissantes et surtout, elles passent très très vite. Bien sûr, c'est facile de divertir quand des milliers d'applications sont disponibles pour nos produits et que les contextes d'utilisation sont aussi diversifiés qu'inusités, mais un fait demeure: avec sa nouvelle plateforme de création lancée hier pour le iPad, elle communique un dynamisme contagieux en prônant un rythme soutenu qui demeure fidèle à l'historique publicitaire de la marque. Ce rythme est un facteur inconscient qui nous pousse à désirer ses nouveautés. C'est une forme d'impulsion, une réponse vivante à un univers souvent morne et inerte. 

Ce rythme irrésistible est, selon moi, à la portée de tous les annonceurs, peu importe leur nature. Car au fond, aucun annonceur n'a les moyens de diffuser de l'ennui, aussi ennuyeux puissent être ses produits...

Merci à Jean Boileau de m'avoir relayé le tout sur son fil twitter ce matin.

mardi 12 février 2013

Une cause perdue


Si un ami vous dit qu'il va vous référer à son employeur si vous le mentionnez à tous vos amis communs, qu'allez-vous penser de lui? Si un collègue propose de vous donner un conseil en exigeant que vous partagiez son altruisme à toute l'équipe pour le faire bien paraître, qu'allez-vous penser de ce collègue? Si un membre de votre famille vous prête de l'argent pour vous dépanner lors d'une mauvaise période, mais vous demande en retour de le vanter lors du prochain souper familial, qu'allez-vous penser de lui? Si je vous offre 20$ en échange d'un tweet très élogieux concernant mon blogue, qu'allez-vous penser de moi? Comment allez-vous vous sentir? 

L'implication sociale d'une entreprise qui évolue dans une économie de marché peut sembler bidon. Je ne doute toutefois pas que certains individus bien intentionnés puissent faire avancer des causes nobles à l'intérieur d'entreprises cupides par nature. Mais ne soyons pas dupes, un fait demeure: une société cotée en bourse, redevable à des actionnaires intéressés uniquement par les profits, n'existe-t-elle pas avant tout pour rencontrer leurs exigences? 

Et si cette entreprise, après avoir probablement causé des dépressions à des centaines d'anciens employés, tout comme des souffrances psychologiques intenses à des milliers de clients encore sous le choc d'avoir eu à se perdre inutilement dans tous les dédales de sa «maison des fous» pour tenter de régler un différend, tente de se redonner une petite virginité à chaque année en appuyant la cause de la santé mentale, le tout par un échange vulgaire de visibilité contre des dollars sonnants et trébuchants, qu'allez-vous penser d'elle? 

C'est ça. Moi aussi. C'est pourquoi je cause sur sa cause à elle. Car à défaut d'être tous parfaitement équilibrés, nous ne sommes pas assez stupides pour croire à sa bonne foi. Mêler la diffusion d'une image de marque à un don de cette façon est odieux, peu importe les intentions des décideurs derrière l'opération. En ce qui me concerne, Bell, ta cause est perdue.

dimanche 10 février 2013

La nostalgie



Elle survient souvent quand on ne s'y attend pas. Elle transperce le coeur et provoque des sueurs froides, comme un réflexe de protection, comme si on ne savait plus trop à quelle époque on se retrouvait. Elle crée une distorsion de l'espace-temps. Elle déclenche une émotion, rappelle des sensations, mais nous ampute du même coup de ce qui pourrait nous redonner le moment dans son intégralité. Elle nous étourdit, nous confond, mais surtout, provoque une tristesse instantanée reliée au manque. Et plus elle réfère à un moment éloigné, plus elle est redoutable. Ensuite, elle laisse un drôle de goût et s'estompe lentement, laissant ses traces quelques temps. Elle s'appelle nostalgie.

Hier, par le plus grand des hasards, je me suis retrouvé sur l'autoroute 95, en Georgie, près de Savannah, à l'hiver 1978, dans une Pontiac Parisienne familiale au fini simili-bois. Mon frère dormait à côté de moi, mon père était au volant et jasait avec ma mère de la projection de notre heure d'arrivée à Daytona en soirée… Je regardais les cotonniers et humais l'odeur de la pulpe au loin, la fenêtre entre-ouverte. À une reprise, contrastants dans le paysage, nous avons dépassé des prisonniers vêtus de leurs uniformes oranges qui travaillaient sur le bord de la route à la libérer des déchets très présents partout à cette époque. Tout au long du trajet, je compilais les plaques d'immatriculation: Caroline du Sud, Floride, Virginie, Delaware, Maryland, comme on compte les moutons, mais je ne m'endormais jamais ou presque. 

Hier, par le plus grand des hasards, la chanson I Got a Name de Jim Croce m'a ramené en 1978, avec tout ce que ça implique comme nostalgie. J'ignorais le nom de ce chanteur folk américain, mais à mesure que la chanson se déployait, la nostalgie se diffusait en moi. Je l'avais probablement entendue en 1978 à l'antenne d'une chaîne de radio du Sud des États-Unis. 

De la petite madeleine de Proust à ma scène fétiche de l'émission Mad Men, de la vague «vintage» en design ou en mode à la fascination des X et des Y pour de nouvelles versions des jouets de leur enfance, ou encore pour la réédition de DVD d'émissions comme Goldorak ou Passe-Partout: il est clair que la nostalgie fait son chemin en marketing. Elle représente un pont privilégié entre un passé suranné mais saturé d'émotions et un présent souvent trop fade et rarement à la hauteur de ce que l'on voudrait qu'il soit. Mais un fait demeure, un peu comme l'étrange impression d'être un géant découvrant un endroit ridiculement trop petit quand on visite son ancienne école primaire, renouer avec le passé nous heurte à un mur, celui de la réconciliation de notre perception du monde lors de l'enfance avec celle qui habite notre corps adulte souvent désillusionné. 

La nostalgie, en création publicitaire, représente un outil puissant qui peut entraîner son lot de résultats positifs. Elle peut aussi, si elle est mal dosée, provoquer un schisme permanent entre le consommateur et une marque. Si plusieurs apprécient se rasséréner dans cette émotion ambivalente, allant même jusqu'à la rechercher, plusieurs autres y ressentiront plutôt un malaise et un rappel de certaines douleurs psychologiques, desquelles ils voudront s'extirper au plus vite. La nostalgie demeure donc pour moi une arme à double tranchant à manipuler avec soin. Car si j'ai probablement vécu de très beaux moments sur la 95 Sud à la fin des années 70 et au début des années 80, j'y ai aussi subi mon lot de moments tristes, de la mort de John Lennon un peu plus tard à la réalité d'un père psychologiquement instable qui ignorait souvent ma présence, si ce n'était pas carrément la nature de mon existence. Et ça, aucune marque ne voudra m'y ramener.

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