mardi 25 mai 2010

Les pitchs excessifs : manque de courage et incompétence

Imaginez que vous réalisez un mandat publicitaire pour un nouveau client. Vous rassemblez, dirigez et inspirez une équipe composée d’un stratège, d’un concepteur-rédacteur, d’un directeur artistique, d'analystes médias, d’un gestionnaire de projet, de graphistes, etc. Le mandat est urgent, tous doivent donc travailler en temps supplémentaire, négocier avec la pression et être proactifs malgré la fatigue. Une bonne idée de concept émerge alors, les troupes sont motivées malgré le stress, on sent l’accouchement arriver, on y touche presque, oui, on y est. Ensuite la présentation au client s'organise, une sorte de chorégraphie très calculée où les responsables de la présentation jouent chacun à leur tour un rôle très précis. Le rythme cardiaque augmente car vous présentez dans 10 minutes. Relâchement après 75 minutes: vous êtes fier de la prestation de l'équipe et de la vôtre. Le client semble avoir bien compris la stratégie et le saut créatif et hochait positivement de la tête à plusieurs reprises. Vous êtes heureux. Mais vous et votre équipe devrez attendre quelques jours, parfois quelques semaines avant de connaître la décision du client, car: il y a cinq agences qui ont tenté l'exercice et seulement une sera retenue. Et seulement une sera rémunérée. Cinq, vous m'avez bien lu.

Cette bataille, c'est ce que nous appelons en pub le «pitch» ou présentation spéculative. C'est le processus de sélection d'agence de certains annonceurs, plus fréquemment les gros. C'est surtout un processus qui, lorsqu’il est mené de manière excessive en impliquant plus de 3 agences dans un contexte mal balisé, devient ingrat, impersonnel, et ne reconnaît pas le facteur humain ni la réalité financière des agences de publicité. C'est souvent une façon bien lâche de justifier le choix politique de l'agence avec laquelle on va évoluer tout en favorisant les boîtes qui ont les poches creuses. Car soyons clairs, il ne manque pas de talents à Montréal et choisir une agence ne devrait pas être une tâche bien ardue. Il suffit de regarder la liste des clients, les portfolios et cas, la philosophie et les forces des agences sur un portail comme Montreal.ad, faire ensuite une liste des 4 ou 5 agences avec lesquelles on aimerait travailler, rencontrer leur équipe et échanger avec les stratèges sur leur vision d'un mandat comme le nôtre. Et hop, ça devrait être réglé. Pas besoin d’être un génie de la bombe. Pas besoin de faire travailler des dizaines de personnes gratuitement en temps supplémentaire pour ça. Le feriez vous pour votre plombier? Pour votre électricien? Pour votre notaire ou votre avocat? C’est inhumain d'exiger à des gens de se donner à fond dans un processus qui les mènera statistiquement à l'échec, car c'est une évidence, quand vous vous lancez en «pitch», même si vous êtes très très bon, vous êtes statistiquement perdant.

J'ai gagné et perdu des «pitchs», vécu l'exaltation et la déception. Je suis passé à travers des processus honnêtes et d'autres malhonnêtes où l'on invite à retardement d'autres agences pour miner les chances de certaines, où les liens politiques occultes entre certaines personnes pipent les dés en secret, où un dirigeant arrive une heure en retard à la présentation sans même s’excuser et en rajoute en écourtant la présentation pour cause de conflit d’horaire sans même feindre un sourire, où le comité de sélection ne sait même pas faire la différence entre «branding» et «marketing», où la nature de l’exercice exigé pour la présentation ne cadre pas avec le rôle qu’aura l’agence. Oui, il y a des «pitchs» décents, où deux, maximum trois agences sont invitées et où le processus est vraiment transparent. Mais c’est trop rare. Une connaissance à moi que je vais taire et qui n’œuvre plus dans le milieu m’a déjà dit qu’elle ne s’engageait uniquement dans les «pitchs» que si elle avait l’assurance de gagner. Vous pouvez tirer vous-même vos conclusions sur le terme «assurance». Vous me direz que les agences n’ont qu’à refuser d’y participer. Plus facile à dire qu’à faire dans un contexte de concurrence féroce et où les comptes majeurs sont la plupart du temps attribués ainsi.

Hélas, vivre tout ça et accepter tout ça tout en demeurant passionné par la créativité et les défis, c’est beaucoup ça travailler en agence de publicité. C’est aussi ce qui contribue à l’essor de nos plus grandes agences d'une certaine façon. J’aimerais que ce soit autrement.

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