mercredi 9 octobre 2013

Je suis une extraterrestre


Préambule
Parfois dans la vie, des publicités douteuses comme la dernière de Metro, où l'on ne voit que des femmes, apparaissent sur nos écrans. Alors pourquoi ne pas laisser l'occasion de la critiquer à une femme qui se situe au coeur de la cible visée par la campagne? C'est ce que j'ai fait, pour la deuxième fois depuis l'existence de ce blogue, en laissant la plume à Sylvie Gagnon, une amie dont le jugement est béton. Bonne lecture, merci Sylvie.

- Mathieu Bédard


Je suis une extraterrestre. Bon, vous me direz, ça ne paraît pas du tout, t’as plus l’air d’une femme tout ce qu’il y a de plus standard. Mais non. Ne soyez pas si naïfs. Comme vous le savez sans doute, c’est plus souvent qu’autrement une erreur de se fier aux apparences.

Il y avait un bout de temps qu’on me faisait le commentaire. Ça tournait généralement autour de «oui mais toi, on sait ben, tu penses pas comme une vraie fille». Voyons donc, que je me disais candidement. Jusqu’à ce que ça me frappe, tel un coup de 2X4 en plein front. Assise distraitement devant ma télé, voilà que la nouvelle pub de Metro m’interpelle (mais pas pour les raisons espérées, vous m’en voyez désolée).

Vous l’avez probablement vue, on y met en scène le personnage de l’épicier Metro, cette fois entouré d’actives mamans contentes d’être enthousiastes (ou serait-ce plutôt l’inverse) envers le nouveau site Web de la chaîne. Des recettes, des coupons, et autres concepts révolutionnaires tels qu’obtenir sa liste d’épicerie en ordre.  On conclut sur le personnage masculin, satisfait, entouré de ses amazones de la circulaire. Rideau.

À (très) chaud, je me dis que l’épicier Metro a une vision bien dépassée et déconnectée de la réalité de 2013 pour refléter une image si exclusivement féminine et «maternelle». Je ne peux parler pour vous, mais personnellement, j’ai la chance d’être entourée d’hommes dégourdis, capables eux aussi de faire l’épicerie, de s’occuper de leurs enfants, de superviser les devoirs et de prendre des rendez-vous chez le dentiste. Conjoint, amis, collègues, connaissances, les exemples ne manquent pas autour de moi de gars qui remplissent admirablement leur rôle de parent. Mais bon, tout ça doit se passer uniquement dans ce microcosme aucunement représentatif qui m’est propre. Et je ne devrais probablement pas être insultée à leur place qu’on les évacue ainsi du paysage, dans une quelconque représentation du quotidien.  

Sauf que mon rongeur agacé, visiblement sur une erre d’aller, a donné quelques tours de plus à sa roue. Bien qu’extraterrestre, je fais partie de la si convoitée cible publicitaire de la femme entre 25 et 45 ans, maman de surcroît (ce qui doit donner des points bonus, ou à tout le moins un intéressant diagramme de Venn). On veut donc à tout prix me rejoindre, me toucher, me convaincre, étant donné que je porte la famille à bout de bras, et que je prends toutes les décisions significatives qui la concernent (on se rappellera que d’aucuns ont vite statué que l’homme en était incapable). On organise même des journées-conférences à mon sujet, où l’on devise à qui mieux mieux sur la meilleure approche pour m’atteindre. Je représente un MARCHÉ.

Mais c’est là où je tiens à m’autoexclure du tableau Excel. Game over. Voyez-vous, publicitaires, aussi étrange que cela puisse vous paraître, à 38 ans j’ai suffisamment maîtrisé le concept de ce que constitue «faire l’épicerie» pour comprendre sans avoir besoin de me voir à l’écran. À un point tel, que même des gars pourraient me le vendre. Et ça vaut pour tout le reste. Je n’ai aucunement besoin de voir une maman pressée entre son boulot stressant et sa classe-de-yoga-bouée-de-sauvetage, qui avale un yogourt sans gras (donc sans saveur) pour pleinement assimiler la mécanique de la décision d’achat. Même que ça génère plutôt l’effet pervers de me faire fuir. Si vous croyez que j’ai systématiquement besoin de voir une brunette de 5’3’’/100lbs dans chacune de vos pubs pour saisir votre message, c’est que vous me croyez profondément narcissique. Ou pire encore, carrément idiote. Faut dire que plusieurs d’entre vous êtes également convaincus qu’un marteau se doit d’arborer le rose pour que je sois capable de m’en servir. CQFD.

Mais vous pouvez dormir en paix sur vos plans marketing, je sais pertinemment que c’est moi qui ne fait pas honneur à mon segment de marché. Les preuves ne cessent de s’accumuler. Une autre toute récente (pour la route):  discussion anodine avec un collègue sur la série Breaking Bad, qui me raconte que sa blonde n’a pas embarqué, étant donné que les préoccupations dont il y est question sont très masculines. En me rassoyant sur ma chaise, je ne peux faire autrement que me poser la question qui se précipite hors de ma bouche: «Et?....», ce qui me vaut un autre «oui mais toi, tsé, c’est pas pareil» à ajouter à ma collection déjà bien garnie. Ma marginalité me saute d’autant plus aux yeux que je n’avais jamais pensé qu’on pouvait aborder une œuvre - et surtout choisir de la mettre de côté - sur la base d’un tel critère.  Allez, je pousse le bouchon de la confession: je ne considérais même pas ça comme un critère. C’est vous dire à quel point je partais de loin. De si loin, que  je n’en suis pas encore revenue, d’ailleurs.

Je pourrais continuer, mais vous êtes déjà bien patients d’être restés. Donc, si on se résume un peu, je crois dur comme fer que les hommes sont tout ce qu’il y a de plus aptes à faire l’épicerie, je ne suis nullement rongée par un besoin constant de représentation de ma petite personne en pub, j’évite systématiquement les étalages d’outils roses, et je m’intéresse pas à une œuvre sur la base des préoccupations féminines qu’on y développe. Tout cela me semble amplement suffisant pour faire la preuve que je ne suis pas une femme, mais bien un extraterrestre individu.

Par Sylvie Gagnon, Gestionnaire de marque et médias sociaux

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