dimanche 27 avril 2014

La chaîne

Se rasséréner dans la conviction d’être véritablement libre relève de l’illusionnisme de foire cheap. Nous sommes profondément captifs. Tous. De nos pulsions, de nos ambitions, de nos limites, de nos peurs, de notre ignorance. Peu importe la raison, nous passons la majeure partie de notre vie à tourner autour de la vraie question, celle de notre liberté, préférant évoluer dans une cage souvent dorée, parfois ternie, mais dont nous n’approcherons que trop rarement des grilles, conditionnés à voler sans s’y heurter, à restreindre notre amplitude. Demeurer un ersatz de sa propre potentialité, voir sa réalité devenir une version édulcorée de ce qu’elle pourrait être, là est le destin de la majorité des personnes. Le déni anesthésiant l’expérience des années, l’estime de soi préservée par la comparaison à pire, car il y a toujours pire, enfin presque: nous avançons vers notre perte avec la ferveur d’imbéciles apparemment heureux. 

Mais là où je semble déprimant, je conserve aussi l’intime conviction que nous savons, au fond de nous, la teneur de notre captivité. Que rien n’est irréversible. Que la conscience peut parfois transcender la paralysie existentielle. Mais encore faut-il réveiller ce désir et faire le deuil du confort; déconstruire tous les modèles qu’on nous a rentrés dans le crâne à grands coups de culpabilité et de honte pour s’affranchir de sa chaîne. Et surtout ne pas se satisfaire de sa propre dignité comme le Chardonneret de Fabritius, mais choisir l’amputation plutôt que la sujétion; motivés par la profonde certitude que rien ne pourra nous empêcher d’arriver à la fin du périple, mais que nous pouvons y survivre dans la mémoire de ceux que nous aurons marqués, à travers la pérennité de ce que nous aurons accompli, en étant d’authentiques rebelles.

Voilà l’essence de la réflexion qu’a provoqué chez moi la conclusion de la lecture du magnifique Chardonneret de Donna Tartt. Une lecture passionnante, marquante à plusieurs égards, mais ô combien triste pour toute âme lucide.

Photo : Cabinet royal de peintures Mauritshuis
The Goldfinch, Carel Fabritius, 1654. Huile sur panneau.

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