lundi 28 juillet 2014

La marque sociale



S’il y a un sujet qui me déchire, c’est bien celui d’analyser ou de déduire les intentions qui motivent un geste philanthropique ou social. Est-ce que ceux qui acceptent que leur nom soit associé à un don ou à un investissement humain sont des êtres généreux ou représentent-ils plutôt l'incarnation lamentable d'un narcissisme en quête de reconnaissance éternelle? Est-ce que faire du bien peut être décrié à cause de motivations sous-jacentes qui pourraient être jugées comme discutables? Si une marque comme Dove, ou encore Starbucks dans le cas qui présenté plus haut, propose un programme qui fait concrètement la différence pour un individu ou une communauté, est-ce que son objectif marketing, qu’il soit au niveau du recrutement RH ou encore bêtement lié à la croissance des ventes, viendra miner la crédibilité ou les bénéfices de son offensive sociale? 

Je crois que le bien ne peut être jugé. Je préfère qu’on fasse le bien, peu importe pourquoi, plutôt que de se draper dans les excuses de certaines entreprises ou individus pour qui la seule contribution, au pacte fiscal ou à l’emploi, représente le don ultime. Une marque sociale, c’est une marque qui a emprunté depuis longtemps la voie d’une stratégie de positionnement qui comprends une sensibilité à l’individu, tout comme une mission qui ratissera plus large que la simple production d’un bien ou d’un service. La marque sociale perçoit sa croissance ou son succès comme intrinsèquement liés au progrès social; ses dirigeants savent que la pérennité repose désormais sur une connexion réelle et saine avec l’environnement dans laquelle leur entreprise évoluera. En fait, ceux qui s’improvisent sur ce terrain miné feront le bien autant que les autres, mais n’en récolteront pas les mêmes dividendes, tout simplement parce que le seul facteur qui régit la perception de la population, c’est la cohérence.

Starbucks n’est pas blanche comme neige, mais elle semble cohérente. Sa campagne pour le raccrochage scolaire touche la cible et s’inscrit, avec lucidité, dans une tendance lourde qui déplace vers l’entreprise privée des responsabilités qui devraient normalement être assumées par nos gouvernements. Cette situation m’attriste, car elle provoque un bien arbitraire, souvent sur l’air du temps, qui en laissera plusieurs dans l’ombre de la misère s’ils ne savent pas attirer les projecteurs sur leur cause. Mais en bout de ligne, à défaut de pouvoir compter sur une gauche décomplexée, attrayante et efficace, je préfère en toute lucidité cette situation à l’inaction.

lundi 21 juillet 2014

Cinquante mètres

C’était un lundi matin à 8h. Il avait le choix. À gauche la piste cyclable tout près sur Berri, à droite la rue St-Hubert à 50 mètres. Il a choisi d’être le seul cycliste sur St-Hubert pour aller plus vite. Il était sur Cherrier et sortait de la ruelle. Je répète, il avait le choix. Il a roulé jusqu’à Viger et a tourné à droite. La piste cyclable n’était pas pour lui. Monsieur roule trop vite pour côtoyer les simples cyclistes mortels. Lui il préfère, sans casque ni crainte, l’angle mort des maudits automobilisses capitallisses. Je l’ai vu frôler le désastre à plusieurs reprises. Un jour, on va lui rentrer dedans par accident et là, les bien-pensants vont s’activer à défendre les droits des cyclistes en attaquant les conducteurs. Et des automobilistes crétins, il y en a des centaines, alors les attaques ne manqueront pas de fondement. Mais ce sera inutile. Cinquante mètres. 

Un samedi matin, vers 10h, je roulais doucement en direction de Laval pour aller faire remplir mes deux bonbonnes de propane chez Monin, sur la Montée Saint-François. J’y vais environ une fois par année. Pout pout à 100 km/h. Rien ne pressait. J’étais presque seul sur la route dans la voie du centre. Alors quand j’ai décidé de me tasser sur la droite pour emprunter la prochaine sortie, j’ai bien regardé dans mes rétroviseurs. Rien. Tout était beau. Angle mort et clignotants et tout et tout. Il arrivait à droite à 160 km/h en moto. Il a frôlé la mort à 50 mètres près. Par un samedi matin ensoleillé. C’était pas d’une moto qu’il avait besoin, mais bien d’un cerveau, mais visiblement, on vend encore des motos à des lobotomisés qui roulent en trombe à droite. Cinquante mètres. 

Un mercredi soir à 18h, je me dirigeais vers une boutique de sport au Marché Central car mon fils use ses chaussures à un rythme qui défie toute logique et que le lendemain avaient lieu ses olympiades annuelles. Je voulais lui faire plaisir et lui offrir la paire de New Balance qu’il désirait. Le Marché Central, à cet endroit et à cette heure, c’était un immense stationnement désert dont je respectais les voies, car la vie n’est pas un parc d’autos tamponneuses. En partant, je suivais une voiture qui semblait environ 50 mètres devant, quand soudainement, un kamikaze qui jouait à la roulette russe avec sa vieille Lexus, est apparu en diagonale à 120 km/h dans le stationnement, frôlant de quelques millimètres l’auto devant moi en tranchant l’espace comme un exacto sur une feuille de «foamcore» noir. Cinquante mètres et mon fils mourrait, et je mourrais. Et fort probablement que le suicidaire s’en serait tiré vivant, paralysé sur le dos des contribuables pour une trentaine d’années. Cinquante mètres d’inconscience entre sa quête de mort irresponsable et la somme de nos vies. Et quelques millimètres entre sa mort et celle du vieux monsieur tout blême, sous le choc, que j’ai dépassé lentement, empathique, par la suite. J’ai jamais su si ce suicidaire avait réussi sa mission, car le stationnement était simplement trop grand. Cinquante mètres.

En 2003, Alejandro González Iñárritu nous a exposé son «21 Grams», soit le poids que nous perdons tous lors de notre mort. Je préfère imaginer le tout en termes de distance. Cinquante mètres, c’est l’espace entre vivre et mourir un peu, jour après jour, après avoir choisi la mauvaise voie. En fait non, c’est plutôt la distance qu’il nous faut à nous pour éviter que certains trous noirs ne transforment nos vies en drame sordide. Et vous savez quoi? Ce qui me dégoûte le plus de mon métier de publicitaire est de devoir concevoir des campagnes pour toucher ces gens. Car comment émouvoir une âme perdue dans 50 mètres de limbes? Comment trouver la motivation pour établir une connexion avec une personne qui ne vit que pour briser, un mètre à la fois, cinquante fois s’il le faut, tout ce qui ne vient pas se greffer à son nombril? 

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