lundi 7 juin 2010

Une campagne à avorter ?



L'entreprise de condoms Durex a récemment lancé une offensive qui consiste à inciter les hommes à faire l'expérience d'un jeu publicitaire. Qui dit jeu publicitaire dit expérience qui nous ramènera invariablement à la marque. Normalement, un «advergame» est réellement efficace si la présence de celle-ci est assez subtile pour ne pas nous empêcher de profiter d'un concept de jeu intéressant et divertissant. Pourquoi jouer sinon?

Durex, pour sa part, a décidé de présenter une refonte du tamagotchi classique, sa version étant accessible sur le iPhone. C'est le principe de s'occuper virtuellement d'une petite bête domestique, de lui donner de la nourriture, de l'attention, etc... Mais Durex a poussé l'expérience plus loin, c'est un bébé qui fait l'objet de l'attention des usagers masculins. La prémisse de départ de Durex est simple: les jeunes hommes ne veulent faire usage de condoms. Les maladies sexuellement transmissibles ne leur font apparemment pas peur, car elles peuvent pour la plupart être guéries par une simple visite chez le médecin et quelques comprimés d'antibiotiques. C'est nier la réalité des traitements complexes pour contrer le SIDA, mais bon, demeurons ouverts d'esprit. La suite de la réflexion se résume ainsi: là où les hommes sont apparemment imperméables au risque de transmission de MTS par des rapports non-protégés, ils auraient en horreur la possibilité d'avoir un enfant. De là l'ingénieuse stratégie de Durex qui a bêtement cru qu'en faisant virtuellement expérimenter les désagréments de la paternité, tout en positionnant la marque, on augmenterait les ventes et on ferait jaser. Je dis bêtement, car je crois que c'est un raccourci qui s'avérera un échec, plus plusieurs raisons, dont deux principales.

Primo, un jeu publicitaire, pour réussir, doit être synonyme de «challenge», de plaisir, de bénéfices, tout en y associant la marque. Or, croyez-vous vraiment que les jeunes hommes seront intéressés à un jeu qui est synonyme d'oppression, de manque de sommeil et de frustrations? Croyez-vous qu'ils associeront la marque Durex à la solution de leurs douleurs? NON, le cerveau de fonctionne pas ainsi. Les jeunes hommes feront au mieux le lien entre Durex et désagrément, mais pire, je doute même que le lien soit réellement établi. C'est un peu beaucoup le principe de la dissonance cognitive expliquée dans un autre billet sur ce blogue.

La deuxième grande raison qui expliquerait l’échec éventuel de cette offensive est plus morale. Je crois sincèrement que de prendre pour une évidence le fait que les jeunes hommes soient réfractaires à l'engagement et au principe d'avoir un enfant est une simplification basée sur des clichés digne de Hollywood. C'est tomber dans le piège des préjugés bébêtes. Et d'associer la marque à ce type de préjugé ne sera jamais rentable pour celle-ci, qui compte une proportion intéressante de ses clients, il faut le noter, du côté du sexe féminin. Je peux vous assurer que dans mon entourage, quand j'étais dans la vingtaine, c'était à une exception près tout le contraire que mes amis et moi vivions. Cette vision polarisante de la question d'avoir des enfants, où les hommes sont présentés comme des éternels préadolescents un peu débiles et centrés sur leur nombril, l'appendice pénien offert à tous vents, et où les femmes sont pour leur part toujours responsables, «maternantes», organisées, est selon moi totalement dépassée. Le film Horloge biologique est un bon divertissement, mais c'est aussi un ramassis de grosses conneries. La responsabilité n'est pas une affaire de sexe, la maturité non plus. Les hommes ne veulent pas se voir ainsi et n’adhèreront pas à une grande marque qui les perçoit ainsi.

Enfin, avoir un enfant est avant tout un choix, mais aussi une expérience unique, personnelle, intime. De mêler implicitement une marque de condom à cette éventualité est selon moi de fort mauvais goût. Cette campagne, c’est le cas de le dire, fait réellement dur.

AJOUT: Un lecteur avisé, Gabriel Dancause, m'a informé que la campagne était une idée fictive présentée au concours Futurs Lions de Cannes 2010 et serait donc un canular en quelque sorte, mais rien n'a été prouvé hors de tout doute. Cette autre source, après recherche de mon côté, tend à confirmer la première. L'idée mérite quand même d'être débattue selon moi.

Campagne trouvée via jfblanchet

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