dimanche 27 avril 2014

La chaîne

Se rasséréner dans la conviction d’être véritablement libre relève de l’illusionnisme de foire cheap. Nous sommes profondément captifs. Tous. De nos pulsions, de nos ambitions, de nos limites, de nos peurs, de notre ignorance. Peu importe la raison, nous passons la majeure partie de notre vie à tourner autour de la vraie question, celle de notre liberté, préférant évoluer dans une cage souvent dorée, parfois ternie, mais dont nous n’approcherons que trop rarement des grilles, conditionnés à voler sans s’y heurter, à restreindre notre amplitude. Demeurer un ersatz de sa propre potentialité, voir sa réalité devenir une version édulcorée de ce qu’elle pourrait être, là est le destin de la majorité des personnes. Le déni anesthésiant l’expérience des années, l’estime de soi préservée par la comparaison à pire, car il y a toujours pire, enfin presque: nous avançons vers notre perte avec la ferveur d’imbéciles apparemment heureux. 

Mais là où je semble déprimant, je conserve aussi l’intime conviction que nous savons, au fond de nous, la teneur de notre captivité. Que rien n’est irréversible. Que la conscience peut parfois transcender la paralysie existentielle. Mais encore faut-il réveiller ce désir et faire le deuil du confort; déconstruire tous les modèles qu’on nous a rentrés dans le crâne à grands coups de culpabilité et de honte pour s’affranchir de sa chaîne. Et surtout ne pas se satisfaire de sa propre dignité comme le Chardonneret de Fabritius, mais choisir l’amputation plutôt que la sujétion; motivés par la profonde certitude que rien ne pourra nous empêcher d’arriver à la fin du périple, mais que nous pouvons y survivre dans la mémoire de ceux que nous aurons marqués, à travers la pérennité de ce que nous aurons accompli, en étant d’authentiques rebelles.

Voilà l’essence de la réflexion qu’a provoqué chez moi la conclusion de la lecture du magnifique Chardonneret de Donna Tartt. Une lecture passionnante, marquante à plusieurs égards, mais ô combien triste pour toute âme lucide.

Photo : Cabinet royal de peintures Mauritshuis
The Goldfinch, Carel Fabritius, 1654. Huile sur panneau.

vendredi 18 avril 2014

L’ovni

En ce vendredi saint, je vous offre un combo de Pâques, soit un billet plus personnel et une publicité qui détonne.

Je ne sais pas pour vous, mais parfois je me sens comme un ovni sur une autoroute aérienne près de l’aéroport O’Hare. Oui, comme un extra-terrestre, pas dans le sens monomaniaque du préfixe «extra», mais plutôt dans la solitude et le questionnement sur ce que je considère comme ma différence.

Quand tout va vite, peut-être trop vite, que les jours défilent comme un TGV et que les semaines semblent s’envoler comme les oies au Cap-Saint-Ignace, quand il n’y a que la créativité et l’efficacité qui priment, que mes actions deviennent systématisées, que je ne suis programmé que pour faire ce que je fais de bien et que je le fais sans trop y réfléchir, oui, je me sens exister, beaucoup, et jouir de cette vie trépidante peut paraître évident, mais rien ne l’est. Car à tout vivre, trop vite, trop fort, j’en viens à me désensibiliser. Or, quand tout s’arrête, comme aujourd’hui, la réalité me rattrape. Ma différence s’exprime dans ces rares moments où tout se fige autour de moi et que je crois ressentir toute la misère du monde en un instant, des cris de douleur de la mère qui vient de perdre sa fille de 3 ans au regard livide d’un enfant soldat au Libéria qui assiste à des assassinats sommaires en passant par la posture psychologique d’un itinérant vivant seul au froid toute la journée à quémander devant le Jean-Coutu sur Fleury. Toute la misère du monde concentrée dans ma poitrine. 

Je me sors de cet état par l’action, en jouant avec mon fils ou en allant à la rencontre d’un vieil ami, bref en me donnant de la perspective. Le Vendredi saint, pour moi, c’est pas mal toujours ça. Rien de religieux, mais un exercice spirituel où je tente de trouver un sens à mon rôle. 



Dans cette publicité de Dodge qui célèbre le centième anniversaire de la marque, j’ai beaucoup aimé voir de près ces centenaires et ces nonagénaires me prodiguer des conseils à la manière de sages dont les rides prennent tout leur sens dans le recul qu’il ont sur la vie. Ils véhiculent leurs préjugés, ils sont imparfaits, candides, touchant, mais ils restent toujours vrais. La marque se positionne ainsi comme une composante de l’identité américaine ancrée sur des valeurs authentiques. Ils sont beaux car ils sont animés par la vie. Comme nous devrions tous l’être: souvent la pédale au fond, mais aussi, parfois, dans le recueillement. 

mardi 15 avril 2014

Notre infinité



Elle s’appelait Chrissy Amphlet. Elle était la chanteuse du groupe australien Divinyls, qui a marqué à sa façon les années 1980 et 1990. Elle est morte le 21 avril 2013 d’un cancer du sein, à l’âge de 53 ans. Avant sa mort, elle a manifesté le souhait que sa chanson la plus populaire, I touch myself, devienne un symbole de l’auto-examen des seins, à des fins de prévention de la maladie. 

Et là, il y a deux jours, est apparue cette vidéo absolument émouvante qui m’a tiré les larmes et m’a fait dresser les poils sur les bras ; cette refonte a cappella interprétée par des chanteuses, par ses amies Connie Mitchell, Deborah Conway, Kate Cerebrano, Katie Noonan, Little Pattie, Megan Washington, Olivia Newton-John, Sarah Blasko, Sarah McLeod et Suze DeMarchi m’a littéralement soufflé. Une idée simple. Un rendu minimaliste. Un mouvement objectif. Et une chanson, vibrante célébration de la sexualité féminine, qui devient un legs en empruntant un tout autre registre, celui de l’intimité face à cette saloperie de monstre. Mais surtout l'incarnation du pouvoir des femmes sur lui.

Chrissy Amphlet n’était rien pour moi avant aujourd’hui. Et là elle est devenue une icône de résilience. Elle a vaincu la mort car elle vit maintenant dans l’esprit de plusieurs à travers cette chanson, à travers cette version, qui évoque par le fait même toute la noblesse que peuvent emprunter certaines campagnes de sensibilisation. Celle-là sauvera des vies et en inspirera plusieurs car elle témoigne un peu, beaucoup, de notre infinité.



dimanche 6 avril 2014

Les héros



Ils s’appellent Messi, Van Persie, Aguero, Wilshere, Luiz, Sergio Ramos. Ce sont les héros de notre époque, des favelas de Rio à Knightsbridge, de Séoul à Yaoundé, toutes classes sociales confondues, toutes cultures unies. Ils seront des centaines de millions à bientôt les acclamer. 

Pepsi est une marque globale qui transcende les frontières culturelles. En guerre contre un géant, qui lui sera commanditaire officiel de la Coupe du Monde, elle déploiera pour l’occasion la plus grande campagne publicitaire de son histoire. Dans ce message, un clip efficace qui reprend le succès intemporel Heroes de Bowie, l’agence 180 LA propose une construction musicale initiée par du bruitisme enlevant, qui sert de canevas organique au dévoilement progressif de nombreux caméos de héros du Foot. Le choix de la sublime Janelle Monae comme interprète me semble judicieux et parfaitement en harmonie avec la mosaïque culturelle inhérente au concept, qui culmine avec un appel puissant à la communion dans l’instant présent. 

Dans la conjoncture mondiale actuelle, où l’instabilité est palpable et les injustices révélées au jour le jour, particulièrement au Brésil, d’associer la marque à la nécessité de vivre le moment, pour soi, mais en symbiose avec les autres; de devenir soi-même un héros, ne serait-ce que pour une journée, m’apparaît être un axe particulièrement porteur. Pepsi s’immisce ainsi dans les imaginaires comme un lubrifiant social, comme un joueur rassembleur, à des milles de l’arrogance corporatiste qui bouffe les peuples pour déjeuner. Dans ce message, tout le monde gagne.

mardi 1 avril 2014

Le stress


Il est là le matin, surtout avant le déjeuner. Le stress de passer à travers l’horaire de la journée sans se défiler, avec le bon niveau de performance. Le stress qui pousse à se défoncer dans un combat perpétuel contre la liste. La liste. Oui, celle contre qui on se bat depuis des lustres sans jamais la terrasser. Le stress d’être à la hauteur des attentes, de ses propres attentes et de celles des autres. Le stress d’avoir des idées, peu importe notre état d’esprit, peu importe la journée. Le stress de la réussite quand l’ambition fait partie de notre structure de personnalité.

Dans cette publicité de Nike en vue de la prochaine Coupe du Monde, une réalisation du très talentueux Jonathan Glazer pour l’agence Wieden+Kennedy, la gestion du stress et de la pression exercée sur les icônes du soccer est utilisée comme un levier de création qui diffère sensiblement de ceux souvent associés à Nike, soit la performance et la persévérance. Ici, ça se passe uniquement entre les deux oreilles. Le doute est présent malgré l’assurance. Un doute amplifié par une trame sonore anxiogène.

Nous savons tous à quel point Nike a toujours prôné le saut créatif et le bénéfice ultime, mais a-t-elle déjà été aussi éloignée de son produit dans une publicité? Un fait demeure, elle nous pousse indirectement à confronter notre propre gestion du stress par une projection habile et génératrice d'estime de soi. Une bonne première exécution. Hâte de voir la suite. Un risque calculé pour la marque phare.

LinkWithin

Related Posts with Thumbnails