dimanche 7 avril 2013

Les colonisés


L'agence québécoise Cossette, la plus grande au pays, a été achetée en 2009 par Mill Road Capital, un fonds d'investissement établi à Greenwich au Connecticut. Cossette, c'est McDonald's, GM, la Banque de Montréal et de nombreux contrats du gouvernement du Québec. L'agence Taxi (quelqu'un peut me dire comment accéder à la version française de leur site Web?) a été vendue quant à elle en novembre 2010 au conglomérat britannique WPP (qui possède Young and Rubicam). Taxi, ce sont les pubs de Telus, de Kraft, de Viagra et de Canadian Tire. L'agence Bos, pour sa part, a été vendue l'an dernier à la japonaise Dentsu pour devenir DentsuBos. Bos, c'est Fido, Yoplait, Jean-Coutu, St-Hubert et la Banque nationale. Et plus tôt cette année, c'était au tour de BCP de passer sous contrôle étranger quand Yves Gougoux, son gourou, a vendu sa participation (30%) à Publicis Worldwide, un grand groupe publicitaire français. BCP, c'est Mikes, Bâton rouge et bien d'autres, mais c'est aussi l'héritage de Jacques Bouchard et de l'avancement de l'identité québécoise en publicité.

Ces agences vont-elles prospérer davantage sous contrôle étranger? Probablement. Vont-elles compter sur des ressources additionnelles et auront-elles accès à de nouveaux clients pour qui elles feront des adaptations québécoises? Fort probablement (à l'exception de Cossette). Est-ce que les emplois qu'elles représentent sur l'échiquier de la publicité québécoise se voient consolidés? Dans la majorité des cas, oui. Un seul petit hic. Si je ne me trompe pas, ces agences existent principalement pour générer des profits, non? Où donc se retrouveront les profits en bout de ligne? C'est ça. Ailleurs. Et ça ne semble pas titiller le moindrement les anciens propriétaires ou fondateurs de ces fleurons des années passées. Après tout, un homme d'affaires québécois a bien le droit de capitaliser son fonds de retraite, non? Et trouver ou préparer une relève québécoise pour conserver ici le contrôle de la destinée de son entreprise? Oubliez ça! Pourquoi s'enfarger dans les fleurs du tapis quand des dollars sonnants et trébuchants, fussent-ils japonais ou britanniques, tombent du ciel? 

Entre temps, une bonne proportion des annonceurs québécois, qui croient acheter localement, dispersent leurs investissements publicitaires globalement en achetant une illusion. Oui, l'expertise locale est bien tangible et les noms sont encore parfois un peu québécois, mais ce sont des entreprises inféodées dont l'existence dépend de la bonne volonté de conglomérats étrangers soumis à des courants bien éloignés de notre réalité. Le mot est perturbant mais juste: l'industrie publicitaire québécoise est en grande partie colonisée, car ses profits se retrouvent ailleurs, tout comme les décisions majeures.

Cette situation honteuse me procure à moi, naïf et candide qu'ils me qualifieront pour demeurer gentils, une bonne partie de ma motivation à bâtir ici une agence solide contrôlée par des gens d'ici. Une agence qui innovera de l'intérieur et qui pourra par la suite rayonner à l'étranger tout en demeurant unique, bien au-delà de la capacité évidente de toute agence sur la planète de créer un bon message télé de 30 secondes. Tout comme Sid Lee, une agence dont l'ADN forcera l'innovation et la formation d'une relève qui pourra reprendre le flambeau. En clair: une agence qu'on ne vendra pas bêtement au plus offrant…

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