lundi 5 septembre 2011

Les silos

En ce congé de la Fête du travail, j'aimerais partager avec vous une réflexion issue d'une discussion fort intéressante que j'ai eu la chance d'avoir avec une enseignante du secondaire expérimentée samedi dernier lors de funérailles. Une discussion sur les jeunes, mais surtout sur leurs parents. Un échange qui rejoint certains points déjà effleurés ici lors de billets récents. Alors pas de publicité, pas d'analyse de marque, pas de critique acerbe. Que vous, moi et la société dans laquelle nous vivons.

J'ai franchement l'impression que tous les clivages idéologiques, politiques, générationnels, que les fossés entre les régions et les villes, entre les riches et les pauvres, entre les sexes, sont généralement gonflés aux stéroïdes par des gens qui veulent se conforter dans leur réalité, par des gens qui tiennent plus à voir raison, à se sentir épris de vérité pour contrecarrer l'insignifiance de leur existence. Dans la réalité, je constate plutôt deux grands clans, deux visions du monde, deux façons de vivre, de concevoir sa vie, de valoriser les secondes qui passent.

D'un côté les pragmatiques, les réalistes, ceux qui consomment et qui alimentent la machine. Des gens qui n'accordent pas ou peu d'importance à la culture au sens large, car elle ne rejoint pas leurs besoins quotidiens. Ces gens carburent, et c'est leur droit, à l'anticipation du plaisir. Ils désirent des choses. Ils attendent, patientent, et puis se les procurent, pour ensuite en désirer d'autres. Entre les brefs moments où ils jouissent réellement de leurs possessions, c'est l'anesthésie par l'humour, la compulsion, nul besoin de lire Nietzsche ou Bukowski, de regarder un film de Kurosawa ou d'apprécier une toile de Francesco Clemente. Non. Tout ça est inutile. Et c'est exactement ce qu'ils transmettent à leurs enfants qui carburent à l'attente du prochain Metal Gear. Pourquoi prendre du recul et donner de l'importance au savoir quand ce qui compte réellement est d'être apte à travailler et à générer assez d'argent pour s'acheter des choses? La vie, pour ces gens, est trop simple pour se la compliquer. Il délimitent leur passage sur terre à un rôle secondaire d'un film de série B. Alors le reste suit. Leurs enfants apprennent des choses et les oublient tout aussi rapidement. C'est la loi de la jungle. On ne peut s'occuper des autres et sentir de l'empathie, de l'altruisme, lorsqu'on est tétanisé par sa quête de pouvoir acheter. Sans eux, notre système économique s'effondrerait. Sont-ils trop présents? N'en demeure pas moins qu'ils demeurent ceux qui se lèvent chaque matin pour travailler, au risque de leur vie lorsqu'ils empruntent nos ponts et viaducs, agglutinés par milliers dans un bouchon, seuls dans leur véhicule de l'année.

D'un autre côté, il y a ceux qui oublient les impératifs des besoins physiques pour se vautrer dans la connaissance, dans les échanges, dans les discussions. Leur existence ne trouve de sens que dans la compréhension des origines, des concepts métaphysiques, le passé prenant une importance capitale dans l'assimilation de principes complexes, qu'ils soient philosophiques, sociologiques, politiques, économiques. La culture demeure centrale à leur vie car elle offre sur un plateau d'argent un divertissement signifiant. Chaque seconde sert à grandir un peu plus. Même s'ils oublient les trous dans leurs bas et que le toit de la maison fuit. Car le cerveau et l'esprit s'emplissent. Leurs enfants sont rapidement propulsés dans un univers riche, multidimensionnel, où l'idéalisme et le partage sont au coeur du cheminement de vie. Sont-ils éclipsés par la première catégorie, lorsqu'ils brûlent une rouge en vélo perdus dans leurs pensées? Et à quoi ça sert toute cette énergie si rien ne bouge? Cette catégorie me donne parfois l'impression d'être consanguine. Beaucoup d'intentions, les meilleures, mais peu d'action. Beaucoup de discussions entre personnes qui s'entendent, mais trop peu de ferveur à rassembler et à inspirer ceux qui pensent autrement.

Bien évidemment, je viens de décrire deux extrêmes et les gradations sont infinies. Mais un fait demeure. Tant qu'on opérera collectivement une négation de la signification profonde du concept de culture, tant qu'on fera la file sur l'autoroute 15 pour se trouver une place de stationnement dans le nouveau temple, le Carrefour Laval, tant que nous mépriserons la chose politique pour se vautrer dans un cynisme aussi stérile que démagogique, bref, tant que nous percevrons le bonheur comme une chose extérieure à atteindre, rien ne s'améliorera. Ni nos routes, ni notre système d'éducation.

C'est utopique pour un publicitaire de dire ceci. Mais honnêtement, j'aimerais qu'il y ait moins de consommateurs et plus de citoyens. Que la discussion soit possible, que les échanges soient fertiles. Mais ce que je constate, c'est deux clans qui évoluent en silos. Les uns méprisant les autres. Alimentant par le fait même un surplace qui profite aux Gérald Tremblay de la terre tout comme aux criminels qui pillent notre présent tout comme l'avenir de nos enfants de manière systématique, en toute impunité, dans ce «no man's land» dans lequel nous vivons.

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