lundi 25 mars 2013

La stratégie de la déception

Que l'on vende des autos, du beurre d'arachide ou encore de la loterie, une chose est claire: il faut assumer ce que l'on vend. Oui, conceptualiser notre approche publicitaire est souhaitable. Mais faire le saut créatif et amener nos prospects ailleurs doit aussi rimer avec leur posture psychologique et leurs appréhensions à l'égard de la catégorie dans laquelle évolue notre produit ou service. Or, les consommateurs sont bombardés de publicités, ils sont fatigués de se faire manipuler, ils détestent perdre leur temps et sont généralement irrités par les jeux inutiles. Ça, c'est la réalité du consommateur, pas celle des stratèges et créatifs derrière la dernière campagne de Lotto Max. Eux, ils semblent croire qu'on a juste ça à faire dans la vie que de se demander qui est derrière telle ou telle approche fondée sur une accroche. 

La stratégie de Lotto Max visait à attirer l'attention des consommateurs, puis à susciter leur intérêt en les faisant se questionner sur la nature de l'annonceur derrière différents panneaux, affiches et autres tactiques, où une personne demandait candidement «Où es-tu jolie lectrice à la robe rouge?». À coups de centaines de milliers de dollars (voire de millions) en placement média issus des poches des acheteurs de loterie, on a titillé la curiosité de la population. Une opération jusqu'à ce moment-là très réussie. Mais après l'annonce aujourd'hui de l'identité de l'annonceur, il y a un gros hic: la réaction engendrée est quasi-unanime, c'est la DÉCEPTION. Oui, la déception de constater qu'on nous a embarqués malgré nous, par la manipulation de notre corde sensible romantique, dans la stratégie de communication d'un grand annonceur pour qui on en a vraiment rien à cirer. Une belle grande opération «cute» qui va plaire aux membres du jury de certains concours de créatifs consanguins, mais qui, au fond, n'aura réussi qu'à heurter la sensibilité des consommateurs inutilement. La séduction est un monde en soi qui n'a rien à avoir avec la richesse. Le vrai bénéfice du produit a été détourné vers un champ de valeurs qui ne lui sied pas vraiment. Pire encore, la marque l'a fait sans se nommer, sans transparence. Cette transposition est tout simplement tirée par les cheveux et manipulatrice. Et ça, le commun des mortels ne peut peut-être pas le verbaliser, mais il le sent. 

Évidemment, les gens derrière l'opération vont nous raconter que l'objectif a été atteint, que la planète Québec en a parlé (le bon vieux «Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en!»), que la marque Lotto Max a circulé amplement, et même gratuitement dans certains médias, dont les médias sociaux. Ils vont nous expliquer à quel point faut pas tout prendre au sérieux, que c'est un clin d'oeil créatif sans prétention, qu'ils voulaient renouveler l'approche et tout le blablabla. Mais au fond, ce qu'ils ne vous diront jamais, c'est que lorsqu'une stratégie de création, la grande idée dont ils se targuent souvent, ne fait que provoquer la déception, c'est que c'est une bien petite idée. Sur le plan théorique, cette campagne est bien exécutée, intéressante et le message télé semble bien réalisé. Mais je le répète, sur le plancher des vaches, et j'ai consulté plusieurs connaissances et amis bien éloignés du milieu (sans compter ceux qui m'en ont volontairement parlé et qui m'ont inspiré ce billet), cette campagne ne suscite que la déception. D'utiliser les fonds d'une société publique pour se payer les droits d'utilisation d'une chanson hyper commerciale de Bob Sinclar ne suffisait pas (c'est vrai, aucun artiste québécois n'aurait pu fournir une trame aussi entraînante que ce pastiche quétaine d'une toune de 1991), il fallait de surcroît qu'on usurpe le dernier petit bastion d'idéalisme qu'il nous reste, celui de l'amour romantique. Oubliez votre espoir de voir un gars sentimental retrouver sa jolie lectrice à la robe rouge: lui, elle, c'est juste Loto-Québec (insérer ici le sacre vulgaire qui vous plaira). 

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