lundi 10 février 2014

La moutarde hot-dog

Pour accorder une valeur à la culture, encore faut-il préalablement pouvoir comprendre son rôle. La culture représente un reflet double, soit celui d’oeuvres d’artistes qui témoignent individuellement de leur vision du monde par leur griffe unique, mais aussi le reflet de ce que nous sommes collectivement, de notre état du monde à nous, en occurrence au Québec. De tous les temps, les impératifs commerciaux ont dicté une partie de la production culturelle. Sans moyens, l’artiste ne peut créer. Mais de qualifier certaines oeuvres selon leur seule atteinte d’objectifs marketing relève de la plus pure ignorance. Je ne parle pas ici de rabrouer ce qui est qualifié de «populaire», au contraire, mais bien de cette absurdité de percevoir le processus créatif avec comme impératif principal de plaire aux masses et non de témoigner d’une vision. Que des gens comme Vincent Guzzo, dont je ne doute absolument pas de la bonne foi, souhaitent que le cinéma québécois soit plus accessible et «vendeur», n’est pas en soi un problème, tant que ça reste un souhait et un constat en lien avec des goûts personnels. Là où le bât blesse, c’est quand il minimise le réel apport culturel d’oeuvres dites «moins populaires» en diminuant leur valeur. Pire encore, quand je vois M. Guzzo jouer à la victime rabrouée des «créateurs-obscurs-et-hautains-qui-ne-veulent-accepter-sa-lucidité et-ses-lumières», je me dis qu’être à la fois un diffuseur dont les intérêts financiers personnels dépendent de la vente de billets, et un juge des caractéristiques artistiques, relève du conflit d’intérêts le plus basique qui soit. 

Combien d’artistes célèbres ont été ignorés de leurs contemporains? Combien d’artistes québécois ont été boudés par la population jusqu’au moment où une validation extérieure, qu’elle soit américaine ou française, vienne soudainement les rendre attrayant à la suite d’un reportage au bulletin de nouvelles du soir? Les artistes possèdent généralement une sensibilité et une vision de ce que nous sommes collectivement, voire un recul, qui échappent à la moyenne des ours. En entretenant la culture par des subventions publiques, nous cultivons notre empreinte collective au monde dans lequel nous vivons et, par le fait même, nous nous rendons attrayants à l’extérieur, car symbolisés, avec notre couleur propre et nos codes uniques. La notion de culture évoquée par Vincent Guzzo et nombre de tenants d’une droite lucide et pragmatique, s’apparente à de la moutarde hot-dog : elle possède une saveur aussi uniformisée qu’indifférenciée à l’échelle occidentale. C’est en soi une vision à courte vue de notre société qui ensache une quête inconsciente d’assimilation dans un contexte de négation du soi collectif. Soyons plutôt fiers de nos créateurs, peu importe le degré de popularité de leurs oeuvres et mettons plus d’accent sur la qualité de leur condition. Leurs démarches sont souvent douloureuses, leurs statuts précaires, leur courage immense, mais surtout, ils sont les gardiens indispensables de notre ADN, de notre essence, de notre nature. Assumons cette nature au lieu de l'aseptiser en nivelant par le bas.

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