dimanche 26 janvier 2014

Le doute


En création publicitaire, rien n'est noir ou blanc et nous voguons constamment dans la pluralité des perceptions. À l'agence, nous allons lancer dans une semaine une campagne de sensibilisation sur laquelle nous planchons depuis environs 8 mois. Nous en sommes à peaufiner les dernières versions des publicités télévisées, l'une en format 30 secondes et une autre en 60 secondes, tout en finalisant un microsite dédié et les différentes tactiques qui viendront entourer l'élément central de l'opération: un film d'environ 6 minutes. Dans une semaine, tout ça sera diffusé et nous devrons lâcher prise. Je devrai donc me détacher du projet et le laisser vivre de ses propres ailes. Bien sûr, la vigie sera constante et des ajustements pourront être apportés si les résultats ou les perceptions diffèrent des objectifs, mais sur le fond, l'idée sera lancée, pour de bon. 

À l'aube d'une nouvelle campagne, le doute s'installe toujours chez moi. En fait, les seules fois où je me suis vraiment trompé ont été celles où je ne doutais pas. Le doute, c'est à la fois un processus complexe d'analyse et un gage de qualité, mais c'est surtout une arme à double tranchant qui doit être dosée. Car un doute mal canalisé peut devenir un élément toxique, qui aura comme conséquences de paralyser le processus créatif et de miner le lien de confiance entre les individus impliqués. Le doute ne doit pas être confondu à la peur, qui elle repose trop fréquemment sur nos angoisses irrationnelles profondes. Douter sainement, c'est savoir enlever certaines couches de certitudes tout en protégeant l'intégrité de l'idée centrale. Qui plus est, le doute peut permettre de valider et de renforcer votre vision en envisageant son contraire, souvent par des échanges sains et constructifs. 

Chez Défi, nous lançons une belle campagne dans une semaine et le doute sera présent jusqu'aux derniers moments. Mais au fond, je le sens, ce projet sera marquant pour notre équipe et pour l'avenir de l'agence. Il se passe quelque chose de spécial cette année. La suite s'annonce passionnante. Et ça, je n'en doute pas, c'est une certitude!

dimanche 19 janvier 2014

Le prénom de mon fils



En ce dimanche, je vous livre un billet très personnel pour me décharger d'une rancoeur intense. Si vous désirez lire sur la publicité, ce sera lors d'un prochain billet. Vous êtes avertis. 

Tantôt mon père m'a appelé. Au téléphone. BEDARD Y sur l'afficheur. J'ai répondu. Il m'appelait pour la première fois en 14 mois. Je m'y attendais car il me téléphone habituellement quand il me voit aux nouvelles à TVA la fin de semaine, et là c'était le cas: on m'avait vu aux nouvelles de midi commenter une campagne poche de Sunwing. 

Tantôt mon père m'a appelé. Mon père et moi, c'est le feu et l'eau; lui croit que c'est parce que nous sommes semblables, moi je pense plutôt que c'est parce que j'ai passé ma vie adulte à ne pas vouloir lui ressembler malgré les apparences physiques qui nous trahissent. Et je suis particulièrement fier d'avoir réussi.

Peu importe les raisons qui ont mené à cette situation permanente depuis plus de 25 ans, et rassurez-vous, je n'ai jamais vécu de drame familial scabreux, mon père demeurera toujours une part d'ombre qui vient me hanter sporadiquement. Et depuis que je suis devenu père moi-même, j'ai l'épiderme encore plus sensible malgré ma façade. Mon fils porte le nom de famille de sa mère. Le lien que j'ai développé avec lui est fort, tendre et sain. Mais si j'ai volontairement évacué le nom Bédard de ce lien, mon père demeure concrètement le grand-père de mon fils.

Tantôt mon père m'a appelé, et au bout de la quatrième minute, quand il m'a demandé des nouvelles de son petit-fils, qu'il n'a vu furtivement que 3 ou 4 fois depuis sa naissance, il n'a pas été capable de dire son prénom. Il a parlé du «petit». J'ai alors réalisé que mon père avait oublié le prénom de mon fils. Et qu'à l'avenir j'oublierais, volontairement, l'existence de celui qui se dit mon père. Mon fils se prénomme Antoine. 

dimanche 12 janvier 2014

La croute


Quand vient le temps de plaire aux autres, que ce soit au travail, dans un bar ou à l'épicerie entre deux allées, il y a la voie facile et celle qui requiert plus d'investissement. La voie facile entraîne des résultats volatiles; il suffit de se payer une bouteille inutilement chère, de porter un complet Tom Ford et de conduire une Bentley Continental GT. Si votre famille possède un patrimoine milliardaire et que vous êtes attiré par les gens superficiels, c'est parfait. Done deal. Rien à redire. Copulez, mangez, peaufinez vos biceps et vos abdos et surtout, prenez quelques instants pour gérer votre fortune. Je ne tomberai pas dans la culpabilisation judéo-chrétienne, mais soyons francs, pour la fraction de pourcentage qui ne dort pas la nuit en angoissant entre Ibiza et Osaka, il y a un gros tapon d'individus qui veulent plaire, trop souvent de la mauvaise façon. La mauvaise façon, et je m'incrimine cent fois, c'est par le prestige. C'est infiniment plus dur d'être soi-même que de prétendre être quelque chose de vulgaire qu'on projette comme de l'argent dans les airs.

En publicité, il y a le choix de l'agence, puis ensuite le choix du concept. Mais dans les faits, tout part du premier choix. Une partie des décideurs en marketing ont acquis leur poste par opportunisme et ils préconiseront une sélection axée sur ce que leur choix d'agence apportera à leur carrière, à leur image, et ce à très court terme, car ne l'oublions pas, être opportuniste ne rime pas avec vision à long terme. Ces opportunistes visent la distorsion de la réalité en leur faveur, tout en se la coulant douce. Ils opteront pour l'illusion des créatifs branleurs qui se vautrent dans les modes et le petit décalage absurde dans le but de gagner des prix. Le résultat sera pas mal, mais surtout éphémère. Ces décideurs choisiront souvent de grandes agences pour leur travail passé, sans se soucier que ce seront des novices qui se chargeront du boulot en bout de ligne, pour rentabiliser le Vosne Romanée Conti 1978 dégusté à l'heure du lunch avec un associé. Mais soyons honnêtes, plusieurs petites agences jouent ce jeux. Il ne s'agit pas de catégoriser les agences mais plutôt de comprendre qu'en publicité, il y a des centaines de créatifs et de stratèges qui excellent mais aussi des organisations qui ne misent que sur le prestige. Ce prestige, c'est le cancer de mon industrie. Il est à la fois matériel et culturel. Au-delà des fourbes, il est incarné, entre autres, par l'arrogance d'un pauvre petit dandy prétentieux qui n'a aucune idée de ce qui fonctionne vraiment sur le plancher des vaches, mais dont la portée est décuplée par la Première chaîne de Radio-Canada tout comme par un média convergent qui joue le rôle de meneuse de claques pour frimeurs en manque de galas bidons. 

Le prestige, ça semble attrayant, mais au fond, c'est la croute de crasse sur la peau de cet octogénaire iranien qui ne s'est pas lavé depuis 60 ans. Le prestige, c'est ce qu'on montre quand on n'a rien à montrer d'intelligent. Le prestige, c'est le truc qu'on ajoute pour masquer notre narcissisme, notre quête de reconnaissance ou encore le grand vide qu'on ressent, de retour à son condo dans HOMA avec une bimbo déjà penchée, à la fin d'une soirée trop arrosée. Je propose moins de prestige, mais plus d'authenticité, plus d'écoute. Et je vous souhaite d'être ou de trouver des clients qui vont vous faire confiance. Moins de croute. Plus d'épiderme. Plus de sensibilité. Car le monde n'a pas été révolutionné pour le mieux par la forme, mais par le courage de ceux qui ont cru dans le changement du fond.

mercredi 8 janvier 2014

Dans la peau de l'autre


La grande majorité des publicités de sensibilisation aux conséquences de la vitesse ou de l'alcool au volant, se servent de la même stratégie de création: la culpabilisation et la projection de sa propre mort ou de celle d'un proche, sans compter les conséquences légales, voire même l'emprisonnement. On se concentre sur le nombril de la cible, donc sur ce qu'il peut s'éviter à soi-même en empruntant un comportement responsable. L'utilisation de ce levier, comme celui d'un bénéfice personnel indirect lié à la bonne conduite, a ses limites. Il sera parfois efficace chez les jeunes conducteurs, mais au-delà d'une certaine violence et du traumatisme engendré par le visionnement de la publicité, rien ne sera retenu, car nous tomberons dans la zone de la dissonance cognitive, celle où la publicité sera évacuée de la mémoire car trop intense, donc totalement inefficace. 

Dans cette publicité néo-zélandaise, qui vise visiblement un segment plus âgé et mature que celui des jeunes, la stratégie utilisée varie sensiblement de celle qu'on nous sert à outrance ici. La distorsion temporelle, le dialogue, l'utilisation à la fois judicieuse et terriblement efficace de la relation parent-enfant et de l'impuissance du père, nous poussent dans une zone où la réflexion se porte plus sur l'autre que sur notre propre nombril. Dans mon cas, et je crois représenter la cible visée, c'est diablement efficace. Car à bien y penser, une publicité qui nous place dans la peau de l'autre, c'est aussi une publicité qui nous confronte à nos propres démons, au plus grand bénéfice d'une prise de conscience réelle, tangible. La fin est absolument déchirante et coupe le souffle, sans briser la mémorisation. Sans lever le pied sur l'objectif final. Brillant.

lundi 6 janvier 2014

Tomber


Tomber fait mal. Sur le coup, puis ensuite par anticipation. Tomber fait peur. Pour dix personnes qui tombent, neuf ne se relèveront pas. Que ce soit d'une chute dans un escalier, d'un amour déchu ou d'une «drop sociale» intense à la suite d'une perte d'emploi, tomber c'est subir un traumatisme. De ceux et celles qui se relèvent, plusieurs vous diront qu'il leur aura fallu une étincelle pour les aider à amorcer le processus. Pour certains, cette étincelle résidera dans cet encouragement de la mère, par ce regard qui vous sort de votre solitude. Tomber fait mal, alors pour se relever et s'exposer à nouveau à la douleur, au rejet, à la honte, il faut souvent cette dose d'espoir, de complicité, de confiance et d'apaisement.

Proctor & Gamble génère plus de 80 milliards de dollars en ventes. Mais à la base de son portefeuille de marques impérial, de Gillette à Pampers en passant par Crest, il y a des mères et des pères qui achètent ses produits et oui, souvent, la sécurité et les valeurs qui s'y rattachent. De dédier aux mamans une partie de sa stratégie de marque en amont, à l'aube des Jeux, relève d'une approche pragmatique. Mais les émotions ressenties à 1:46 du film sont bien réelles. Et elles donnent le goût de se relever!

mercredi 1 janvier 2014

Les clics vides


Le rendement de la publicité se mesure plus que jamais. En établissant des liens entre certaines données et les ventes, les stratèges arrivent donc, en amont, à favoriser tangiblement l'atteinte des résultats. Tout ça est très bien, car la publicité a trop été et ne doit surtout plus être un poste comptable associé à une perte volontaire mais incontournable à la crédibilité d'une organisation dans son écosystème sectoriel. Combien de clients m'ont déjà confié qu'ils fantasmaient à l'idée de ne pas faire de publicité pendant quelques années pour vérifier si elle était réellement essentielle? Les métriques sont et demeureront au coeur de l'efficience marketing. En douter équivaudrait à douter que la terre est ronde.

D'un autre côté, la mesure entraîne trop souvent cette obsession quantitative pour les clics, pour le potentiel viral des campagnes; une quête de chiffres qui ne veulent souvent rien dire en bout de ligne. Tout ça devient déprimant, car on confond selon moi certaines notions relativement contradictoires. Atteindre des millions de clics ne signifie aucunement qu'une campagne est pertinente sur le plan créatif et génératrice de résultats. Cela confirme plutôt qu'elle est populaire. Or, avez-vous déjà vu un album de Radiohead exploser les ventes? Ou un film de Wes Anderson défoncer le box office? La popularité et l'excellence sont deux concepts la plupart du temps incompatibles (à plusieurs exceptions près, j'en conviens, notamment pour les Beatles). Voulez-vous être populaire ou exceller? À qui voulez-vous vraiment parler? La publicité est une question de choix, certains sont difficiles.

J'en entends déjà me répondre que maximiser la portée en publicité est en soi un gage de succès… Mais de quelle portée parlons-nous? Pour qu'une publicité soit commercialement performante, qu'elle soit un film sur le Web ou encore un contenu enchâssé sur un palmarès de Buzzfeed, elle doit favoriser une attribution très nette de la marque tout comme une rétention du bénéfice, qu'il soit en estime de soi ou simplement fonctionnel ou ludique. Or, pour transmettre efficacement un bénéfice, il faut que la marque soit crédible, que son message demeure clair et surtout, qu'il colle à l'esprit. Cette dernière caractéristique est primordiale et trop souvent évacuée. Coller à l'esprit est absolument le contraire d'un rire momentané entre deux photos de chats. Coller à l'esprit nécessite quelque chose de plus profond, de plus proche de la cible et de sa réalité. Pour qu'un message colle, il doit réellement imprégner l'individu. Je crois sincèrement que la très grande majorité des campagnes statistiquement délirantes en nombre de clics ne collent pas. Elles provoquent des réactions, mais elles disparaissent de la mémoire tout aussi rapidement, catégorisées dans la case des divertissements éphémères. Après la période des calories vides, nous en sommes à l'époque des clics vides. Certaines agences Web en sont même devenues des spécialistes. On garantie 15 000 adeptes Facebook en deux mois. On promet des centaines de milliers de vues sur Youtube. Mais on en vient à oublier l'essentiel: la relation. Ce qui est acquis facilement se perd facilement. Ne tombez pas dans ce panneau. Vous et votre organisations valez plus que ça.

Pour 2014, je vous souhaite moins de fans acquis par des concours futiles, moins de «followers» qui se foutent de votre gueule, moins de visionnements compulsifs et moins de clics inutiles. Je vous souhaite surtout de la qualité, de la complicité, des liens vrais et de la performance marketing et publicitaire qui dépasse la courte vue des gestionnaires à la petite semaine. Je vous souhaite un succès ancré dans les fondations de marques fortes et signifiantes qui sauront concilier la nécessité de contribuer au tissus social, à celle de combler les attentes des actionnaires. Je vous souhaite une pile de fric haute comme la Place Ville-Marie si c'est ce que vous désirez, mais de grâce pour les bonnes raisons. Mais vraiment, vraiment, moins de clics vides. 

Bonne année!

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