mardi 10 juillet 2012

La grande illusion



Les grandes marques ont compris qu'elles ne vendaient pas des souliers, de la gomme à mâcher ou encore une boisson gazeuse. Elles savent qu'au-delà du produit, elles proposent plutôt au consommateur une composante de son positionnement personnel, dans la mesure où l'expression de notre identité, dans un contexte de consommation débridée, passe par nos choix de marques, par la nature de nos achats. Est-ce absurde? Absolument. Mais c'est le quotidien de la majorité.

Les subtilités que nous pouvons apporter à notre image personnelle sont infinies et en constante mutation. Les goûts évoluent, collectivement, dictés par certains courants redoutables comme ceux de la mode et de ses empires. Mais ils sont aussi influencés par les contextes sociaux, moraux et politiques qui façonnent nos aires culturelles. 

La plus grande aberration dans toute cette histoire repose sur l'illusion de liberté que nous entretenons intimement, alors que dans les faits nous nous comportons de manière on ne peut plus prévisible, comme un troupeau conditionné à la valorisation et inspiré par les choix de consommation qui s'offrent à nous. Ce monde est la réalité. Nous, humains, avons incrusté en nous ce profond besoin d'être connecté à plus grand que nous, tout en exprimant notre part d'originalité. Nous choisissons notre caste en se croyant libre, alors que la réelle liberté serait de pouvoir choisir ou non d'opérer dans ce mode.

L'exercice publicitaire de Sprite, une création de BBH NY tournée à Prague, a attiré mon attention car il repose sur un esthétisme marqué, notamment par l'apport de l'artiste Liu Bolin, qui a façonné les différents maquillages de camouflage, tout comme par la présence d'une trame musicale forte. La finale, symbolique et signifiante en terme de psychologie sexuelle, évoque la liberté mais aussi le bénéfice de la fusion amoureuse. En résulte une publicité qui résonnera fort dans l'imaginaire de la cible, car elle mise essentiellement sur une puissante illusion d'individualisme. Cette boisson à base d'eau, qui sert de vecteur pour l'ingestion massive de sucre, entend convaincre la jeunesse d'aujourd'hui, particulièrement obèse aux États-Unis, qu'elle exprimera la nature unique de sa personnalité en arborant fièrement une canette de Sprite de la main gauche. N'en demeure que ce n'est pas le rôle premier des grandes marques de veiller à notre bien. Tant que nous achèterons cette grande illusion, elles nous la vendront. Sprite la vend très très bien.

Je vous laisse sur le «making of» que je trouve intéressant.

1 commentaire:

  1. Quand tu dis: « Nous choisissons notre caste en se croyant libre, alors que la réelle liberté serait de pouvoir choisir ou non d'opérer dans ce mode » et tout ton billet en général me rappelle une histoire racontée à l'émission Contact de Stéphane Bureau. Un jour, Dany Laferrière y raconta une histoire qui m'a marqué à vie.

    L'histoire du grand oiseau.

    C'est une bande d'oiseaux qui sont à la recherche du grand oiseau. Ils l'ont tous vu et maintenant ils le recherchent tous en groupe pour le revoir. Le retrouver. Ils ne sont pourtant pas loin. Partout où ils passent, on dit l'avoir vu passer. Un jour, un des oiseaux s'endort et plonge dans le vide. Se reveillant à temps pour ne pas s'écraser, il se remet à voler et recherche sa bande de chercheurs. C'est à ce moment qu'il le voit, le grand oiseau. Il s'empresse de le rejoindre et, plus il s'approche, plus ça se précise. Ce n'est pas un grand oiseau. C'est sa bande... La grosseur du groupe et leur altitude donne l'illusion. Ils créent eux-même la légende du grand oiseau partout où ils vont et comme des cons, ils courent après.

    Cette boucle sans fin de la création de l'image de marque, du positionnement, me fait penser à ça. La quête d'une image de soi créé par les médias qui elles, la crée à partir de ce que nous voulons voir comme image. Nous créons notre grand oiseau à nous.

    Nous sommes « victime et boureau » à la fois. On forge nous-même l'image de notre idéal à atteindre.

    Une boucle sans fin. Ça me fascine! Mon amour de la pub doit venir de là. :P

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