jeudi 26 avril 2012

Mon regard


7h45 le matin. Il pleuvait des cordes. Je m'étais couché tard la veille, sale insomnie, et je sortais de chez moi pour me rendre à l'agence, quand j'ai croisé sur mon trottoir un jeune homme, environ 20 ans, maigre et légèrement vêtu malgré les 4 degrés et l'humidité transperçante qui rendent cette fin avril si insupportable. Il était chargé comme un mulet. Il se dirigeait lentement vers ma porte, machinalement, sans âme, sans me voir, le regard littéralement vidé de toute flamme. Il semblait provenir du sous-continent indien, sa chevelure j'imagine. De l'autre côté de la rue, chez ma voisine que je surnomme «Bree», car elle m'apparaît aussi obsédée par sa perfection que la fameuse Bree Van de Kamp de la série Desperate Housewives, un autre jeune homme. Pratiquement un clone de celui que je venais de croiser. Il s'occupait de son côté de rue avec la même résignation. Ces deux jeunes livraient des sacs publicitaires, ne me demandez pas quel variante, car ils pullulent, pas les jeunes, les sacs publicitaires. Jamais dans l'histoire récente n'avons-nous été aussi obsédés par l'environnement qu'en ces temps où nous devons jeter au recyclage sur une base quasi quotidienne des sacs publicitaires qui me paraissent aussi inutiles que nuisibles.

Je me suis rendu au métro en ressentant un malaise certain. Ces jeunes étaient probablement exploités. Leur dos devait les faire souffrir et ce, littéralement pour des grenailles. Probablement pour survivre. 

Nous vivons au Canada mais nous laissons des entreprises alimenter une machine en grande partie factice car basée sur l'exposition de ménages aux publicités, circulaires et autres machins de publicités directes. Or, dans mon univers, je ne connais personne, à une ou deux exceptions près, qui ne consacre ne serait-ce qu'une seconde pour consulter ces trucs insérés dans des sacs de plastique sur lesquels une publicité d'agent d'immeuble est imprimée en sérigraphie. On nous fait la morale à l'épicerie, partout, pour que nous cessions l'usage des sacs en plastique, mais jamais en aurons-nous reçu autant, accrochés à notre boîte aux lettres, à notre insu. Parfois deux par jour. 

J'étais triste pour ces jeunes. Le cheap labor existe visiblement encore. Il est parfois à notre porte. Et nous ne le voyons pas plus que les publicités qu'il porte comme un «homme-cheval» de Calcutta. Les seuls qui en profitent sont des entreprises qui savent vendre, à l'aide de statistiques très très poussées et convaincantes, ce qui n'existe que de manière très fragmentaire: notre exposition réelle à la publicité postale. Ces entreprises exploitent un système en spéculant sur mon regard, or, le surlendemain, il faisait soleil et j'ai préféré regardé ailleurs pour conserver ma bonne humeur.

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