dimanche 12 janvier 2014

La croute


Quand vient le temps de plaire aux autres, que ce soit au travail, dans un bar ou à l'épicerie entre deux allées, il y a la voie facile et celle qui requiert plus d'investissement. La voie facile entraîne des résultats volatiles; il suffit de se payer une bouteille inutilement chère, de porter un complet Tom Ford et de conduire une Bentley Continental GT. Si votre famille possède un patrimoine milliardaire et que vous êtes attiré par les gens superficiels, c'est parfait. Done deal. Rien à redire. Copulez, mangez, peaufinez vos biceps et vos abdos et surtout, prenez quelques instants pour gérer votre fortune. Je ne tomberai pas dans la culpabilisation judéo-chrétienne, mais soyons francs, pour la fraction de pourcentage qui ne dort pas la nuit en angoissant entre Ibiza et Osaka, il y a un gros tapon d'individus qui veulent plaire, trop souvent de la mauvaise façon. La mauvaise façon, et je m'incrimine cent fois, c'est par le prestige. C'est infiniment plus dur d'être soi-même que de prétendre être quelque chose de vulgaire qu'on projette comme de l'argent dans les airs.

En publicité, il y a le choix de l'agence, puis ensuite le choix du concept. Mais dans les faits, tout part du premier choix. Une partie des décideurs en marketing ont acquis leur poste par opportunisme et ils préconiseront une sélection axée sur ce que leur choix d'agence apportera à leur carrière, à leur image, et ce à très court terme, car ne l'oublions pas, être opportuniste ne rime pas avec vision à long terme. Ces opportunistes visent la distorsion de la réalité en leur faveur, tout en se la coulant douce. Ils opteront pour l'illusion des créatifs branleurs qui se vautrent dans les modes et le petit décalage absurde dans le but de gagner des prix. Le résultat sera pas mal, mais surtout éphémère. Ces décideurs choisiront souvent de grandes agences pour leur travail passé, sans se soucier que ce seront des novices qui se chargeront du boulot en bout de ligne, pour rentabiliser le Vosne Romanée Conti 1978 dégusté à l'heure du lunch avec un associé. Mais soyons honnêtes, plusieurs petites agences jouent ce jeux. Il ne s'agit pas de catégoriser les agences mais plutôt de comprendre qu'en publicité, il y a des centaines de créatifs et de stratèges qui excellent mais aussi des organisations qui ne misent que sur le prestige. Ce prestige, c'est le cancer de mon industrie. Il est à la fois matériel et culturel. Au-delà des fourbes, il est incarné, entre autres, par l'arrogance d'un pauvre petit dandy prétentieux qui n'a aucune idée de ce qui fonctionne vraiment sur le plancher des vaches, mais dont la portée est décuplée par la Première chaîne de Radio-Canada tout comme par un média convergent qui joue le rôle de meneuse de claques pour frimeurs en manque de galas bidons. 

Le prestige, ça semble attrayant, mais au fond, c'est la croute de crasse sur la peau de cet octogénaire iranien qui ne s'est pas lavé depuis 60 ans. Le prestige, c'est ce qu'on montre quand on n'a rien à montrer d'intelligent. Le prestige, c'est le truc qu'on ajoute pour masquer notre narcissisme, notre quête de reconnaissance ou encore le grand vide qu'on ressent, de retour à son condo dans HOMA avec une bimbo déjà penchée, à la fin d'une soirée trop arrosée. Je propose moins de prestige, mais plus d'authenticité, plus d'écoute. Et je vous souhaite d'être ou de trouver des clients qui vont vous faire confiance. Moins de croute. Plus d'épiderme. Plus de sensibilité. Car le monde n'a pas été révolutionné pour le mieux par la forme, mais par le courage de ceux qui ont cru dans le changement du fond.

1 commentaire:

  1. «Le prestige, ça semble attrayant, mais au fond, c'est la croute de crasse sur la peau de (celui ou celle) qui ne s'est pas lavé(e) depuis 60 ans.» Très beau. Merci pour le partage.

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