lundi 7 janvier 2013

Source naturelle de malaise



Les responsables du marketing ont plusieurs outils dans leur coffre pour mousser les résultats de leur organisation. De un, le produit lui-même. Est-il assez séduisant? Répond-il aux attentes? Ensuite vient la stratégie de prix. On diminue les prix pour augmenter les volumes ou bien on les augmente pour gonfler les marges et, par le fait même, la valeur perçue du produit? Et la distribution elle? On démocratise l'accessibilité ou on attire les gens vers un point de vente physique unique, comme l'a fait Nespresso? Et bon, à la fin, à la toute fin, est-ce qu'on fait de la publicité? Si oui, il faut s'assurer que tout ce qui devait être fait en amont l'a été. Car la publicité n'est pas un eldorado, oh que non! Certaines campagnes publicitaires, parmi les plus coûteuses et les plus réputées, ne servent absolument à rien. En fait, c'est un peu faux, elles contribuent à alimenter artificiellement certaines grandes agences de publicité tout en consolidant les postes des services marketing en place chez les annonceurs. Des services marketing qui n'ont que faire du retour sur l'investissement ou de la rentabilité réelle d'une campagne de publicité. Voyez-vous, il y a des millions de manières de justifier des «investissements» en pub…

S'il y a une certitude en ce bas monde, c'est que la publicité ne peux contrecarrer les plus grandes tendances, qu'elles soient de nature sociale, démographique ou tout simplement provoquées par les modes. Le Lait, ce grand annonceur québécois, ce «recycleur» de tounes périmées, ce «connecteur» entre le produit et la nostalgie de l'enfance, ce joueur de la publicité qui n'hésite pas à placer sur la table des millions de $ en production et médias à chaque année depuis des lustres, n'y échappe pas. Et là, je n'entrerai pas dans certains dédales idéologiques qui relèvent de la nutrition ou de notre réel besoin de consommation de ce produit. Je vais plutôt me concentrer sur la volonté de cet annonceur de renouveler de manière systématique des campagnes publicitaires d'envergure, en faisant fi des réalités macroéconomiques et concurrentielles.

Qu'ont provoqué de tangible ces dizaines de millions de $ investis en publicité depuis plus de 20 ans? Rien. Niet. Du vent. Certains diront qu'il faut se battre contre la décroissance, contre vents et marrées. Faut quand même se rendre à l'évidence: ces investissements massifs n'ont pas affecté d'un iota les ventes de lait au Québec, ventes qui ont plutôt régressé de 20% en 30 ans, exactement comme ailleurs. Vous avez bien lu, 20%! Évidemment, tout est un prétexte pour justifier cette débandade: tendance lourde à l'échelle occidentale, vieillissement de la population, comportement de consommation des communautés culturelles immigrantes, etc. Mais si on n'y peut rien, pourquoi investir en publicité alors? Est-ce à dire que l'organisme a tout tenté en amont avant de s'en remettre en dernier lieu sur les espoirs de la publicité? Pas sûr.

Quand je lis que seulement 25% des écoles primaires du Québec offrent un berlingot de lait frais à leurs élèves en 2013, je crois rêver. Aucune publicité télé, qu'elle présente des parents qui donnent du lait à leur enfant ou pas, n'égalera jamais l'expérience intime d'un enfant qui boit du lait avec ses compagnons à l'école. C'est sans compter sur une mission sociale noble et utile pour plusieurs jeunes défavorisés. Donc, pendant que le produit chute dans les habitudes de consommation d'adultes qui ne reviendront jamais en arrière, pendant que le Québec connaît probablement sa plus belle croissance démographique en 25 ans, on se permet de négliger la relance du produit chez les jeunes en visant stupidement et sans aucune segmentation visible des gens qui n'en ont rien à cirer de boire du lait. Pourquoi? Pour faire de la belle publicité. Source naturelle de réconfort. Des messages sublimes qui instrumentalisent les enfants afin de provoquer la nostalgie et l'émotion, mais qui échouent à générer la demande à la source. De belles publicités réalisées par Jean-Marc Vallée, évocations émouvantes de la québécitude, aussi superbes sur le plan esthétique que stériles sur le plan commercial. 

Je suis le premier à croire au pouvoir de séduction de la publicité et de la créativité. Mais pour une organisation qui voit ses ventes péricliter d'année en année depuis des décennies, il m'apparaît plus qu'étrange de perpétuer des opérations si coûteuses, de surcroît pour un produit qui n'est plus compétitif au niveau du prix, dans un contexte de gestion de l'offre réglementée. C'est un exemple parfait d'exercice qui a certes mené à de grands concours de création publicitaire, valorisant au passage le narcissisme de certains créatifs et têtes dirigeantes, mais qui, au fond, se résume pour moi, au delà de l'inutilité, à une source naturelle de malaise.

Mes références sont ici dans cet article passé inaperçu qui m'a réellement interpelé la veille de Noël.

5 commentaires:

  1. Très intéressant billet (et très pertinent, quant à moi). Mais à quel article fais-tu allusion, pour tes références??

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  2. Simplement cliquer sur le mot «article» à la fin, le lien est pas très visible, désolé... Merci!!!!!

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  3. Sujet passionnant. Pour la pub ci-jointe, je ne peux qu'avoir un grand frissont dubitatif quant au choix de la chanson et sa version interprétée, dans ce contexte. Est-ce qu'automatiquement, le trémolo mousseux de Paul Piché doit nous faire ressentir davantage notre québécitude que notre frilosité à ce qui est kitsch, peu importe le sujet? Certains pourraient dire, tout en sarcasme, que certaines formes de kitsch sont typiques à notre bagage culturel, notre identité québécoise et toutes ces vielleries dépassées qui se fondent tranquillement en souvenirs de grand-mère... Mais j'ai bien peur que le but ici n'était pas ça l'humour ni de deuxième degré tordu.... Ce sont, à mon avis, de mauvais choix un brin «copier-coller», si on exclu la qualité des plans, de la lumière au cadrage, en passant par le casting. Malheureusement, une forme de mauvais goût se profile dans le gosier mental! La simplicité de l'émotion, soit. Mais pas à grand coup de nostalgie régurgitée et envoyée à nous avec pseudo-rafinement.. «Tout le monde est malheureux» chanté par Marie-Hélène Thibert, un coup parti...

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  4. Merci Dominique pour ton commentaire qui dissèque de manière plus poussée la stratégie de création. Évidemment, nos perceptions de la «québécitude» peuvent varier, mais un fait demeure, et là je vais défendre un peu l'approche prônée par Le Lait: quand on veut viser large, on doit utiliser des références qui vont dans ce sens... Merci encore!

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    1. Oui, viser large, mais c'est toujours risqué quand on créé des croisements de référence. Une chanson country canadienne (Lucille Starr) avec Paul Piché...C'est un brin un «stretch» pour le but souhaité... je suis d'avis qu'une version originale aurait déjà mieux passée, même si stylistiquement, ça aurait juré avec l'imagerie de famille typique présentée. Pas de chapeau de cowboy, gruau à l'appui, disons! (quoique...) On a eu les chansons françaises, dac. Mais «Quand le soleil dit bonjour aux Montagnes? Heureusement qu'il n'y a pas de passe de yodel! Toujours plus heureux d'entendre nos chansons d'ici, surtout quand c'est pour renouveller un marché qui caille... hehe!

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