mercredi 16 novembre 2016

La mort aux trousses ? Vraiment ?

J’ai lu à quelques reprises cette année différents billets qui annonçaient la mort de la publicité. Voici ce que j’en pense.

Il n’y a jamais rien eu de très romantique à être publicitaire. La publicité représente simplement une portion d’un maillon du marketing qui permet généralement à une marque d’entrer en contact avec le consommateur pour lui signifier trois choses, dans l’ordre ou le désordre : 

1- j’existe et voici mon nom
2- ma nature est la suivante
3- achetez-moi (ou adhérez à mes idées) : voici pourquoi

Peu importe la manière dont vous allez jouer vos cartes, peu importe l’histoire que vous allez raconter, que ce soit par le saut créatif absurde, l’humour, le drame, l’étonnement, que vous le fassiez mal ou bien, la publicité vous ramènera invariablement à ces trois notions. Le reste n’est que chimères. La publicité n’est pas là et n’a jamais été là pour valoriser les individus. Certes, certains y excellent et méritent toute la reconnaissance qu’ils récoltent. Mais s’ils excellent, c’est qu’ils (ou elles) comprennent que la publicité existe pour vendre, dans une économie de marché où la concurrence est plus vive que jamais et où le nombre de produits s’est décuplé. Elle va divertir pour vendre. Vous émouvoir pour vendre. Mais elle ne le fera jamais gratuitement. La publicité, quand elle ne veut pas vous vendre une idée ou vous sensibiliser, désire essentiellement déplacer votre fric de votre compte de banque vers celui d’une marque, qui elle, devra satisfaire les attentes d’actionnaires dont la perspective est aussi courte qu’une jupe d’Ariana Grande. Il n’y a absolument rien de poétique là-dedans. Pas plus aujourd’hui qu’il y a 30 ou 50 ans. Vendre.

En 2004, environ 7 milliards $ étaient investis en publicité dans les trois médias de masse les plus importants (télé, radio, quotidiens) au Canada*. Plus de 325 millions $ étaient placés sur le Web à l’époque. En 2013, une somme totale de 10,2 milliards de $ y était consacrée, en hausse d’environ 43 % sur moins de 10 ans. On a déjà vu mieux comme mort. La seule différence, c’est que les entreprises préféraient alors jouer le jeu de la publicité en ligne, et ce à hauteur de plus de 3,5 milliards de $. Une progression fulgurante, mais notée par tous depuis plus d’une décennie. Zéro suspense là. La télé ? En faible baisse. La radio ? En augmentation à peine notable, mais constante. Et oui, les quotidiens sont tombés en ruine pendant cette période, en décroissance d’environ 35 %. Mais les investissements totaux avaient crû de plus de 40 %. Connaissez-vous des entreprises qui investissent de manière récurrente dans le vide ? Moi non plus. 
Nous avons simplement assisté à un jeu de vases communicants. Vendre autrement mais vendre quand même.

Et à ce que je sache, l’immense majorité des messages publicitaires, tous médias confondus, consistaient encore et toujours à signifier au consommateur les trois mêmes notions mentionnées précédemment. Bien sûr, certains canaux bidirectionnels ont fait leur apparition et demeureront. Les publireportages insipides ont graduellement laissé place à une version « nouvelle et améliorée », un Saint Graal nommé « marketing de contenu ». Mais ne sous-estimez pas la capacité du consommateur à flairer ce truc, aussi ludique soit-il. Il sait, il sent et il s’en balance généralement. Le marketing de contenu a favorisé l’émergence, au-delà de certains joueurs sérieux, de toute une classe de grabataires qui s’imaginent photographes, réalisateurs ou pire encore, journalistes. Ces petits vecteurs commerciaux, la plupart du temps terriblement insignifiants, se vautrent dans les trucs gratuits et invitations VIP, obtenus en retour d’une visibilité sur leur blogue ou sur les réseaux sociaux, mais n’ont généralement peu à offrir en terme d’efficience réelle pour les marques. Les « influenceurs » existent, bien sûr, mais ils sont moins nombreux que ce qu’on l’on pourrait croire. Un fait demeure, tout ça n’est que de la publicité. Trop souvent de la très mauvaise publicité. Qu’elle valorise maladroitement des marques qui embarquent dans le jeu ou encore nos marques personnelles, ça demeure de la publicité quand même. La publicité est partout, plus que jamais.

Le zapping-zipping des messages télé s’est graduellement accompagné de bloqueurs de pubs sur le Web. Une bonne partie des audiences, la génération Y et celle qui la suit, désertent les grandes chaînes généralistes pour la télé numérique et ses variantes, rendant au passage millionnaires des youtubeurs comme Cyprien et incontournables des séries comme Stranger Things. Les défis des publicitaires sont immenses. Mais les besoins des marques demeurent. Et bon nombre de consommateurs se retrouveraient totalement désorientés sans la publicité comme repère de leur propre identité. Jamais ils ne vous le diront, comme jamais ils n’admettront, en groupe de discussion, avoir acheté une BMW pour établir leur standing auprès de leurs proches. Ils préféreront plutôt faire diversion sur des notions comme la performance et la qualité de l’ingénierie. Mais quand ils vont au Carrefour Laval le samedi, par hordes de milliers avant l’heure du dîner, ils savent excessivement bien quelle marque choisir pour combler leur vide et exposer leur essence. La publicité les a bien aiguillés, car elle n’a jamais été aussi présente dans leur vie. J’en suis tout comme vous. Peu y échappent. 

La publicité n’est pas morte. Pas plus que le cinéma, les arts visuels ou la lasagne de maman. L’idée romantique que quelques-uns s’en font, là oui, peut-être. Mais vous savez, s’il y a une discipline qui exige de ne jamais trop s’attacher au temps qui passe, c’est bien la publicité. Non, la publicité n’est pas morte, pas proche, elle est même plus vibrante que jamais. Et elle me passionne en toute lucidité, pour ce qu’elle est vraiment et pour le rôle qu’elle peut jouer auprès des entreprises d’ici, qui méritent de se démarquer et de se consolider dans une ère de globalisation agressive. Que ceux qui y œuvrent assument leur choix ou qu’ils quittent pour leur voilier ou leurs souvenirs teintés. Moi, et nous sommes légion, j’ai décidé de rester.

mathieu


*Source : IAB Canada - Rapport sur les revenus de la publicité Internet, 2014

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