dimanche 1 décembre 2013

Le temps perdu


C'est dimanche et j'ai vraiment pas envie de parler publicité, alors vous êtes avertis…

Il y a deux jours j'avais 6 ans et mon père, déguisé en Père Noël, arpentait la rue Dany jusqu'au 373 en jouant le jeu avec sa grosse voix. J'y croyais, mon frère aussi et c'était magique, tous ensemble. Le lendemain nous étions chez ma mère, j'avais 20 ans et la famille, disloquée, tentait tant bien que mal de tenir le coup. Aujourd'hui c'est décembre et l'esprit de Noël envahit la maison et les yeux de mon fils. J'ai quarante-deux ans et je réalise que tout sera terminé demain. Tout. C'est comme ça. Les minutes nous font vibrer, souffrir, parfois interminables, mais les années filent en un flash sans que nous nous en rendions compte.

Un typhon, il s'appelle Haiyan. Des milliers de morts aux Philippines, dont des centaines d'enfants… Mais si le nôtre a le malheur de se faire un bleu sur le front avec un ballon de basketball, nous nous retrouverons, outrés, à commenter notre poursuite au civil de la compagnie de ballon sur le show de Denis Lévesque tout en donnant des conférences de prévention sur le sujet dans les écoles. Mais des centaines de morts d'enfants n'entraveront en rien notre achat d'un gros SUV ou d'un deuxième véhicule. Nous allons donner notre 20 piastres à la Croix-Rouge mais ce sera un achat comme un autre, celui de notre apaisement. Car notre contribution à l'amplification des phénomènes climatiques demeure trop abstraite pour notre petite conscience. Minou disparaît dans la nature? Ce sera le psychodrame interminable sur Facebook, avec photos et tout. Au même moment, des espèces disparaissent à jamais de la surface de la terre et ça ne nous fait pas un pli sur le nombril. Nous serons tous devant notre télé en février prochain à regarder les Olympiques se dérouler dans un pays qui matraque les homosexuels et l'idéal des Jeux. Mais si notre frère ou notre meilleur ami se fait tabasser par la police à cause de son orientation sexuelle, nous serons les premiers à démarrer une pétition en ligne exigeant le congédiement des officiers coupables ainsi qu'une refonte complète de la formation et du processus d'embauche de la police. 

Nous sommes collectivement tarés. Quand le mal est plus grand que nous, il devient translucide. Nous demeurons intelligents mais restons le nez collé sur la fenêtre de nos vies, notre souffle provoquant de la buée. Nous ne savons plus distinguer nos envies de paraître de notre bien, de celui de nos enfants, au-delà des anecdotes.

Aujourd'hui c'est décembre et ça fait cent ans que Proust a publié Du côté de chez Swann, le premier tome de À la recherche du temps perdu. La période des Fêtes représente le pointeur émotionnel le plus puissant, car elle réfère à l'enfance, à la famille et souvent, par association, à la douleur de la perte. Comment en arrivons-nous à laisser filer le temps tout en abdiquant nos devoirs et nos responsabilités? Pourquoi nous mentons-nous ainsi? Je crois à notre intelligence, elle est là, mais elle semble figée au quotidien. J'aimerais que la nostalgie déclenche une cascade d'actions intelligentes sur le plan collectif, au-delà des dons diachylons, nécessaires mais stériles à changer la nature néfaste des choses. Pour qu'à travers l'oubli de soi, dans l'action, nous retrouvions enfin le temps perdu.

1 commentaire:

  1. Réflexion frappante Mathieu...

    Deux questions que ce texte nous pose ne peuvent demeurer sans réponse... du moins, sans réflexion.

    « Comment en arrivons-nous à laisser filer le temps tout en abdiquant nos devoirs et nos responsabilités? » Je me demande jusqu'à quel point sommes-nous devenu si programmé par un système si bien organisé, que nous ne sommes plus capable d'une telle prise de conscience, tant individuelle que collective? Sommes-nous à tel point des humanoïdes en passe de passer du côté androïde, tellement notre capacité de la conscience de soi semble s'évaporer du psyhè?

    « Pourquoi nous mentons-nous ainsi? » Forcément, si nous ne sommes plus capable de prise de conscience de soi-même, la perception de la vérité sur soi est éclipsée. Alors où passe notre faculté de percevoir le vrai, de manière objective?

    That's the question, dirait Shakespeare...

    Normand Perry.

    RépondreSupprimer

LinkWithin

Related Posts with Thumbnails