mercredi 13 mars 2013

Une histoire


Sachez-le: les gens n'achètent pas votre produit. Ni votre service. Et ils ne sont pas près d'acheter vos idées. Les gens s'achètent plutôt une version idéalisée d'eux-mêmes pour vivre dans une belle bulle rose. À défaut de se payer la belle grosse bulle rose avec leur choix de consommation, ils se procurent un analgésique puissant pour oublier dans quel merdier ils se retrouvent. Mais peu importe: que ce soit cette bulle rose ou cet analgésique, ce qu'ils achètent en bout de ligne, c'est tout simplement une histoire. 

Oui, une simple histoire qui change les idées et qui provoque l'amnésie de sa propre condition; une histoire dont le dénouement est inconnu et qui génère des émotions, de l'adrénaline. Du divertissement à faible implication cérébrale. C'est La Voix à TVA (près de trois millions d'âmes captives le dimanche soir), c'est le conclave et l'annonce du nouveau pape (même si la grande majorité s'en fout), c'est le destin d'un athlète qui vient de tuer sa copine, celui d'une chanteuse gigaplanétaire qui pond des jumeaux, c'est la dégringolade d'un politicien véreux et de ses blagues déplacées, ce sont les Olympiques (un superbe amalgame de scénarios inventés pour vous divertir), c'est un tsunami au Japon («live» pendant 94h consécutives sur CNN), ce sont les audiences de la Commission Charbonneau (le jour de la marmotte version RDI ou LCN) et toute une panoplie de téléromans et de téléréalités aussi vides que sensationnalistes, bref, tout sauf un regard lucide et sain sur sa propre vie. Tout pour oublier l'inutilité de son quotidien… 

Cette histoire, c'est aussi s'acheter un vin cher pour frimer quand on en a pas les moyens (ni la possibilité de l'apprécier sur le plan gustatif). C'est payer 800$ pour un iPhone 5 quand son 4S fonctionne encore très bien. C'est demander du gin Hendrick's dans un cocktail où il sera dilué et imperceptible. C'est conduire un gros VUS et faire des boutons à chaque fois qu'il est temps de le remplir d'essence (car ça signifie de vider ce qui reste de son compte de banque, mais bon, si ça nous donne l'impression d'être plus puissant, plus grand, plus musclé, j'imagine que ça vaut la peine). 

Cette histoire, c'est abdiquer la potentialité de son destin et renoncer au dépassement. C'est surtout cesser de réfléchir et de façonner sa vision singulière du monde au profit d'une version préfabriquée et artificiellement peaufinée par les médias, par les marques. Une vision artificielle qui nous est administrée à doses constantes, minutes après minutes. Sans relâche. Surtout pas durant la semaine de relâche.

Les gens n'achètent finalement qu'un moyen pour survivre psychologiquement à un monde qui les bombarde quotidiennement de tellement de stimuli, qu'il devient souvent plus facile de se débrancher le cerveau au profit d'histoires cousues de fil blanc que de confronter la réalité pour se faire sa propre idée. Quand je dis «les gens», vous seriez surpris de savoir comme ils sont nombreux. La moyenne des ours passe plus de 16h* heures devant la télé à chaque semaine et près de 18h* sur le Web. Et ils remplissent les centres commerciaux. Là, on ne parle plus de se divertir, on parle de s'engourdir. Et engourdis, peu importe l'histoire qu'on nous raconte, peu importe l'histoire qu'on se conte à soi-même, nous minons avant toute chose notre propre histoire, cette occasion unique de laisser notre marque sur notre monde.

Source: Ipsos

1 commentaire:

  1. Superbe cette histoire sur l'histoire de l'humanité par un publicitaire qui raconte de belles histoires... vraies.
    Je vous recommande l'écoute de cette très belle chanson de Serge Reggiani « le petit garçon »

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