dimanche 13 novembre 2011

La bonne équation

Ma vision du rôle du publicitaire en 2011 peut sembler simpliste et naïve, mais je l'assume: c'est savoir concilier l'essence du client avec ses objectifs commerciaux par des stratégies innovantes et par de la création pertinente tout en évoluant dans un cadre éthique favorable à tous, et plus particulièrement à la perception favorable du client-annonceur à long terme. C'est une équation fragile, car entre ce que le client perçoit comme bon pour lui, ce que la population veut entendre et l'importance de générer des résultats rapidement, l'équilibre devient précaire. Des dirigeants trop agressifs sur le «court terme», des créatifs qui veulent choquer à tout prix pour gagner des concours, des stratèges qui sont prêts à tout pour que ça lève (et toucher des bonus), bref, toutes les forces en présence favorisent des tiraillements éventuellement nocifs à la marque. C'est donc le rôle du dirigeant d'agence de modérer certaines ardeurs, de ramener les esprits sur terre, mais surtout, de faire en sorte que tous voient la forêt et non seulement les arbres. Je ne parle pas ici d'être un éteignoir, mais plutôt de bien canaliser les énergies.

Prenons la toute récente offensive du gouvernement du Québec visant à justifier la hausse des frais de scolarité. Bâtie autour d'un microsite informatif, cette campagne peut paraître inoffensive, mais elle demeure à mes yeux très vicieuse. Voici pourquoi.

1- La campagne est présentée comme une réponse à une recommandation du Comité consultatif sur l'accessibilité financière aux études (CCAFE). Or, il n'en n'est rien, car l'ensemble du contenu ne représente que la vision gouvernementale sur la question. Pourquoi ne pas signer simplement le tout et assumer ses positions clairement en toute transparence? Je vous ferai remarquer que le logo du gouvernement en bas à droite de la page mesure environ 0,75 pouce de largeur tandis que les thèmes prennent toute la place. Manipulateur et bête.

2- Les arguments présentés, s'ils étaient réellement le fruit des consultations, n'emprunteraient pas un sens unique si dénué de nuance. On mentionnerait l'augmentation importante, ces 10 dernières années, du financement des universités par le secteur privé, qui encourage la recherche appliquée au détriment des sciences sociales. On parlerait du rendement collectif d'un diplôme universitaire en terme de retour sur investissement, ne serait-ce qu'en perception d'impôts auprès de professionnels qualifiés sur une période de plus de 30 ans. On aborderait l'importance du transfert de notre économie vers une plateforme de savoir dans le contexte économique globalisé. On expliquerait les coûts en dollars constants. En clair, on ne montrerait pas qu'un côté de la médaille. Insidieux.

3- Les moyens déployés pour générer des visites sur le microsite respecteraient l'équilibre des forces en présence et ne donneraient pas dans l'achat de mots-clés comme «FEUQ», «FECQ», «ASSÉ», «Manif étudiante», etc., sachant que ces organisations représentent des citoyens et qu'elles n'ont probablement pas les moyens de combattre financièrement la machine gouvernementale. En clair, on se garderait une petite gêne en utilisant les tribunes disponibles et en évitant de financer la diffusion de la propagande du régime avec les impôts des contribuables, dont une proportion significative se positionne contre les hausses annoncées. On respecterait l'intelligence de la population. Une tactique malheureusement aussi efficace stratégiquement que lâche et sale sur le plan éthique.

Je crois pour toutes ces raisons que cette petite campagne représente un bon exemple d'équation qui ne balance pas. Une agence de publicité a la faculté de se positionner moralement sur certains enjeux, sachant qu'il y aura toujours un prix à payer pour ne pas devenir un vulgaire mercenaire au service de valeurs répressives socialement. En ne désirant qu'engranger des revenus à n'importe quel prix, une agence de publicité galvaudera sa propre marque. Ce n'est donc pas qu'une question de valeurs. Car tout revient à ça : réussir maintenant à n'importe quel prix et échouer éventuellement pour les mêmes raisons, ou réussir plus lentement et sûrement en respectant une ligne de pensée cohérente et en harmonie avec ses idéaux. Je préfère personnellement réussir pour les bonnes raisons. Mais bon, c'est facile à dire, car mon agence n'appartient pas à des intérêts américains motivés uniquement par le rendement. En clair, si j'apparais naïf, c'est par intérêt et non par souci de soigner mon apparence. Mon idéalisme est fondé sur ma quête lucide de réussite durable.

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