dimanche 28 novembre 2010

L'ancrage

Pour Rodolphe (1919-2010)


Il neige de gros flocons précoces de novembre. L'automne passe à l'hiver dans une magie étrange. Le téléphone a sonné vers 8h. Ma mère. Rodolphe est parti pour de bon après une dure semaine à l'hôpital. Rodolphe était et sera toujours mon grand-papa. Il avait 91 ans. Presque 92. Et croyez-moi, son âge ne diminue en rien notre tristesse. C'était hier.


Je pourrais faire des parallèles avec la pub, parler de «connexion émotionnelle», mais je n'en ferai rien. Tout ce qui m'habite présentement, c'est un besoin intense de lui rendre hommage pour que vous sachiez tous comment il a influencé ma vie d'une multitude de manières. J'ai déjà dit que je me laissais, à l'occasion, la liberté de diverger sur des sujets personnels. Nous sommes dimanche, alors voilà.


Rodolphe a empreint mon enfance et mon adolescence de son passé. Une impression qui habite mon être et qui est fondée sur la justice sociale, le sens du devoir, de la famille, tout ça dans un contexte stable, sécurisant, honnête. Sans compter son amour de la musique, que je perpétue à ma manière par ce lien si intime que j'entretiens avec certaines mélodies. Je me souviens qu'il appréciait particulièrement Stefie Shock, un quasi-anachronisme compte tenu de son âge, mais qui révélait son ouverture d'esprit. Il était hypersensible, il laissait souvent transparaître ses émotions, ses larmes, un fait assez inhabituel pour un homme né à une époque où l'on faisait la guerre à cheval. Tout ça pour dire qu'il vivait en moi avant sa mort, à travers une partie de ma conception du monde, mais aussi parce qu'il m'apportait un certain équilibre. Rodolphe était un refuge, un endroit rassurant où l'on ne me jugeait jamais, où l'on ne désirait pas me faire la morale, un cocon où ma seule présence suffisait. Il n'était pas parfait, mais il a rarement manifesté ou laissé voir ses défauts en ma présence. La relation du grand-père avec son petit-fils a de magique qu'elle ne requiert que très peu d'encadrement. Je ne me souviens pas d'un moment où il n'aurait pas été heureux de me voir. J'aurais aimé le voir plus souvent, mais je suis tombé comme un cave dans le tourbillon de la vie depuis quelques années. Il savait que ce n'était pas de la mauvaise volonté de ma part et ne me l'a jamais reproché.


Ce que j'aimerais qu'on retienne le plus de lui est sa faculté à aimer sans condition, à une époque où l'on remet tout en question à chaque écueil. Il a aimé ses filles ainsi, mon frère et moi aussi, tout comme nos enfants, mais surtout sa femme qu'il a toujours conservée en lui, jusqu'à l'appeler lors de ses dernières respirations. Aimer sans condition, n'est-ce pas là le plus bel exemple à donner?


Nous avons tous en nous, d'une manière ou d'une autre, un point d'ancrage, une zone privilégiée qui favorise notre équilibre. Vous connaissez maintenant le mien et, par association, toute la douleur de le voir disparu en quelque sorte. Mais le sentiment de vide est temporaire, car la beauté qu'il m'a léguée ne pourra jamais disparaître: elle vit entre autres en moi et à travers mon tout-petit. Merci Rodolphe.


Je vous laisse sur un chef d'oeuvre hip-hop instantané, un peu plus joyeux, mais qui exprime le sentiment de vide qui m'habite: I'm lost in the world.


5 commentaires:

  1. Vraiment très touchant Mathieu. Tu transmets très bien ce que ton grand-père représente pour toi et ce que tu ressens face à son départ. J'aime lire la note positive à la fin de ton texte concernant la beauté qu'il t'a léguée. J'aime aussi la manière dont tu nous fais voir ton grand-père, sans aucun doute un homme de coeur.

    Sincères condoléances à toi et à ta famille.

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  2. Je suis rarement touché par un écrit, encore moins par un article de blog. Mais là, si. Très touchant.

    Toutes mes condoléances.

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  3. Mes condoléances à toi et à ta famille, Mathieu.

    La belle ébauche que tu as pu faire de ton grand-père sur un si petit billet donne une bonne idée de l'être exceptionnel que doit être le portrait complet de cette homme.

    Bel hommage. Bel héritage que nous bénéficions tous aujourd'hui. ;)

    Merci à vous et bonne route, Rodolphe.

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  4. Mes condoléances à toi et à ta famille, Mathieu.

    L'amour inconditionnel. Oui. Encore. Est-ce par l'exemple que ça se transmet ou simplement par amour ? En le faisant quoi.

    Je me demande parfois si ceux qui ne sont pas parents comprennent.

    Merci de leur montrer

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  5. On avance dans la vie, tous ensemble. Et puis, les rangs se dépeuplent. Il fait froid.

    Mon cœur est avec toi.

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