vendredi 23 avril 2010

Publicité et responsabilité au volant: pour un moratoire sur les films d’horreur


Nous avons, au Québec comme à plusieurs endroits sur la planète, une culture publicitaire totalement figée quant à la prévention de la conduite dangereuse ou encore de l’alcool au volant. La stratégie est toujours la même, à quelques variantes près: nous traumatiser en nous montrant de manière concrète tout ce que nous pouvons perdre au premier degré (bras, jambes, notre vie), au deuxième degré (bras d’un proche, jambe d’un proche, mort d’un proche) ou au troisième degré (ma vie ne sera plus jamais la même, la société souffre de ma conduite, etc.). Que ce soit fait de façon plus ou moins explicite, plus ou moins pragmatique, l’idée est de nous exposer à un film publicitaire ayant pour but de modifier nos comportements. Le hic, c’est que la très grande majorité du temps, la situation qui nous est présentée est tellement grave que nous décrochons, tout simplement car nous en retirons un microtraumatisme. C’est ce qu’on appelle en communication le phénomène de dissonance cognitive. S’enclenche alors le très intuitif procédé psychologique du «ça n’arrive qu’aux autres», qui se traduit par un détachement entre ce que l’on voit et sa propre situation, voire même par l’oubli complet du message. Avec comme conséquence que même une exposition très élevée à cette publicité ne changera rien à notre comportement. Ça veut donc dire que potentiellement des millions de dollars sont jetés à l’eau sur une illusion qui rassure les hauts fonctionnaires, eux qui renouvellent les budgets sans trop se casser la tête à chaque année. Cette stratégie est utilisée car personne n’en a trouvé de meilleure. En fait, c'est faux, car les gens d’Ogilvy Brésil, eux, ont essayé autre chose.

Portrait rapide de la situation à laquelle était confrontée Ogilvy Brésil: plus de 35000 morts au volant en 2009 malgré une nouvelle législation du gouvernement Lula qui rendait l’alcool au volant criminelle (aucune limite permise) depuis deux ans, donc une culture de gens qui conduisent saouls, même s’ils se savent criminels. Alors quoi faire? Une campagne publicitaire traditionnelle pour leur montrer un gars totalement ivre qui tue 10 enfants en les frappant de plein fouet, avec le sang, les mères éplorées et les menottes? Non. Plutôt un «stunt» dans le feu de l’action quand les gens boivent, dans les bars! La tactique? Simple, on crée un canular qui réside dans le fait de gonfler de montants stratosphériques les factures des clients de quelques bars populaires ciblés, montants qui correspondent au coût social théorique et détaillé de leur conduite éventuelle en état d’ébriété en fin de soirée. Les clients qui payaient leurs consommations par carte de crédit en fin de soirée recevaient donc un choc total, soit une fausse facture salée, parfois équivalente à plusieurs milliers de dollars. Le résultat: une grande irritation, la peur d’être floué, ensuite la compréhension du message plus bas sur la facture et le retour à la réalité, légère, de ne devoir que ce qu’ils doivent en réalité. Avec en tête la douleur éventuelle et le risque relié à la conduite en état d’ébriété. Habile, peu couteux, inventif et surtout très efficace en terme de rétention du message. Un respect total de l’intelligence du consommateur, de sa faculté à réfléchir dans un mode qui dépasse le monologue du message télévisé. Toutes des valeurs que je prône dans ce blogue.

Je ne sais pas si l’approche brésilienne a donné des résultats mesurables. Je serais tenté de croire que cette expérience a été concluante, mais qu’elle a ses limites en terme de portée et de fréquence, soit les limites de la surprise, unique, du «stunt». Je crois aussi que ce qu’il faut retenir, c’est que la publicité comme on la conçoit est parfois inadéquate et qu’il ne faut jamais se figer dans une recette. Il faut savoir reculer pour voir la forêt et non pas seulement les arbres, innover, essayer de nouvelles avenues et, surtout, se demander si notre cible retient réellement ce que nous voulons qu’elle retienne. Une grande leçon, selon moi, pour les gens de la SAAQ et leurs agences, qui devraient redoubler d’ardeur en stratégie plutôt que de sans cesse repousser les limites du film d’horreur.


Un gros merci à Anouk Neveu-Laflamme (Anouknl sur twitter) d’avoir exposé l’idée et à Roch Courcy (roch5) de me l’avoir relayée. Et à tous, n’hésitez surtout pas à m’envoyer des suggestions d’idées ou des publicités qui vous font réagir, en bien ou en mal, à facteurpub@gmail.com.

3 commentaires:

  1. Merci de partager cela! J'aimerais bien voir la réaction si les bars et les clubs de Montréal faisait tous cela une journée.

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  2. Dominique: Merci de ton commentaire. Je serais aussi très curieux de connaître le potentiel viral du stunt, à savoir combien de personnes en parleraient si on le faisait massivement une soirée. Curieux de connaître le spin que nous pourrions avoir en RP, en couverture média traditionnelle, etc...

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  3. Bonjour,
    je serais curieuse de voir la vidéo, ou peut-on la visionner ?
    merci!

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